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Nationalisme corse et identités régionales

  • par Natacha Gray
  • 19 mars, 2018

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En France le problème corse est revenu au cœur de l’actualité avec l’incontestable victoire des nationalistes en décembre aux élections pour la nouvelle collectivité spécifique entrée en fonction le 1er janvier 2018, puis début février avec le voyage du président Macron sur l’île et sa fin de non-recevoir à la plupart des revendications qui lui ont été présentées. Où en sont les Corses ? Que veulent-ils ? Que veulent-ils encore ajouteront certains ? Un scénario à la catalane, avec le référendum pour l’indépendance et le bras de fer avec l’État espagnol, est-il possible ici ? Nous avons achevé le précédent article consacré à l’identité de la France (à consulter en cliquant ici) sur l’idée d’identités emboîtées, du local à l’Europe, complémentaires et qui ne s’excluraient pas. L’identité corse peut-elle s’affirmer sans mettre en péril le caractère « un et indivisible » de la République française ? Le problème est complexe et demande une analyse dépassionnée, bien loin de la vision manichéenne et caricaturale qu’en donnent, depuis des années, les médias obsédés par le sensationnalisme ainsi que de nombreux politiques qui peinent à dépasser les incantations (République, indivisibilité…), les postures méprisantes, les rancœurs héritées de la violence terroriste du FLNC contre les intérêts continentaux et leurs craintes d’affaiblissement de l’État central.


Un constat : le renouveau des revendications régionales.


Un peu partout en Europe on assiste en effet à la montée de revendications identitaires à l’échelle régionale : Catalogne, Corse, Écosse, Italie du Nord, Flandre... Des coalitions regroupant partisans d’une autonomie approfondie et indépendantistes gagnent les élections locales, des référendums légaux (Écosse) ou non reconnus (Catalogne) sont organisés en vue d’obtenir l’indépendance.  En Espagne on pensait les revendications progressivement éteintes depuis que la Constitution de 1978 avait donné de larges prérogatives aux «  autonomías  » aux identités marquées, mais le grave conflit entre la majorité nationaliste élue à la Generalitat suite au referendum d’autodétermination d’octobre 2017 et l’État espagnol montre qu’il n’en est rien. De même les tensions et provocations, de part et d’autre, qui ont accompagné le voyage du président Macron en Corse sont révélatrices du malaise et de l’incompréhension persistante entre pouvoir central et élus locaux.

Certes, tous les mouvements indépendantistes ont renoncé, les uns après les autres en Europe, à la lutte armée : en Catalogne Terra Lliure a abandonné les armes dès 1991, l’ETA a déposé officiellement les siennes en 2011 au Pays basque, le FLNC en a fait de même en Corse en 2014. On est bien loin des années 1970-1980 quand le nationalisme s’exprimait au travers de règlements de comptes, de mouvements terroristes, de bombes et d’assassinats politiques, le dernier en date étant celui du Préfet Érignac en Corse le 6 février 1998. De cette époque ne restent que quelques prisonniers purgeant leur peine, que les États centraux considèrent comme relevant du droit commun et que les forces nationalistes revendiquent en tant que prisonniers politiques. Cet abandon de la violence correspond de fait à de réelles avancées institutionnelles, issues d’un dialogue renoué dans un cadre démocratique et que nous évoquerons plus tard.

Bien évidemment le sentiment identitaire ne date pas d’aujourd’hui ni même d’hier et repose sur le sentiment d’appartenance à une nation (au sens démographique, sociologique et historique du terme), qu’il faut distinguer de la nation (pays) au sens de laquelle le territoire régional est englobé. Pour éviter la confusion avec l’échelle de la France, on qualifie parfois de « régionales » les revendications nationalistes dans des régions historiquement dotées d’un fort sentiment d’appartenance (Corse, Catalogne). Rappelons qu’une nation rassemble des personnes, généralement sur un même territoire (même si une nation peut être diasporique), qui partagent entre elles un passé commun, une langue, une culture propre, souvent une religion et, dans le présent, «  le consentement mutuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l’héritage que l’on a reçu indivis  » pour reprendre une définition d’Ernest Renan. Cette définition est évidemment indissociable de la notion de peuple. La nation ajoute à l’idée de peuple la délimitation d’un territoire historique, des institutions ou, à défaut, la volonté de construire quelque chose ensemble pour conserver un certain nombre de valeurs, un patrimoine culturel, architectural, juridique, des pratiques, des coutumes.  À ce titre, il est indéniable que les Corses, les Catalans, les Écossais, les Flamands furent et restent des nations, seule « l’identité padane », parmi ces courants nationalistes qui se font entendre aujourd’hui, semble être une construction récente (XXe siècle) de la Ligue du Nord (devenue la Ligue pour dépasser son périmètre historique)[i].

 

Nier la spécificité de la Corse et que ses habitants forment un peuple bien particulier, sur le prétexte que l’île est une collectivité territoriale française, c’est faire peu de cas de l’histoire et de la géographie, et se laisser aveugler par l’idéologie ou la rancœur héritée des temps où des militants indépendantistes armés défiaient la République, cagoulés et armés, tout en posant des bombes contre les intérêts continentaux. Difficile en effet d’oublier également, vingt ans après, le traumatisme face à la forfaiture impardonnable que fut, y compris pour de nombreux Corses, l’assassinat d’un préfet pour le seul motif qu’il incarnait par sa haute fonction la présence de l’État français sur l’île. Mais, quoi que l’on pense des revendications autonomistes ou indépendantistes, quelles que soient nos sympathies ou antipathies pour cette région longtemps « remuante » et frondeuse, cela ne doit pas conduire à des dénis de réalité qui empêchent tout dialogue constructif.

Géographes et sociologues peuvent témoigner que, comme toute île, sauf celles qui sont aisément reliées à un continent, la Corse a créé une civilisation originale qui est le syncrétisme de plusieurs influences, ce que Anne Meistersheim[ii] dans ses travaux sur le fait insulaire nomme la «  dialectique de l’ouverture/fermeture  » : une île est ouverte sur le monde, elle fut une étape sur les routes maritimes, recevant ainsi de nombreuses influences. Mais elle peut également se refermer sur elle-même, surtout quand il s’agit d’un espace montagneux, de faible superficie, et construire, au fil du temps, par synthèse des diverses influences, une civilisation originale à celle du continent lorsqu’il s’agit d’un espace intégré à un État plus ou moins lointain. Toutes les approches phénoménologiques, transdisciplinaires, s’appuyant sur le vécu des insulaires et l’expérience externe des continentaux, montrent la solidarité de fait entre les habitants, un lien social très vivant, des lois particulières fondées sur un code de l’honneur (toutes les îles méditerranéennes furent ainsi longtemps des régions de vendetta), des pratiques et coutumes spécifiques, un fort attachement au territoire et à ses spécificités, à la transmission de ce qui fait l’identité îlienne, et souvent une langue spécifique qui n’est pas un patois et a survécu aux multiples influences extérieures. Et de fait la Corse n’est française que depuis 1769, quand elle fut conquise militairement après 4 siècles de rattachement à la République de Gènes et quelques décennies d’indépendance au cours desquels elle mit en application la première constitution démocratique de l’Histoire, accordant même le droit de vote aux femmes en 1755 ! L’Université de Corse (à Corte) fut d’ailleurs pionnière dans l’étude des spécificités des espaces insulaires, mettant en évidence une triple caractéristique : l’insularité (ce qui caractérise un espace entouré par la mer, généralement montagneux, avec des coûts liés à l’éloignement, une économie particulière…), l’iléité (les coutumes, la vie quotidienne, le lien social, le fait d’être et de se sentir un îlien) et l’insularisme (une certaine propension à la révolte et aux revendications, la capacité à se soulever contre l’État central quand une île est rattachée administrativement à un espace exogène).

Ces caractéristiques s’appliquent à la Corse, il faudrait être aveugle ou de bien mauvaise foi pour le nier et faire semblant de croire que, parce que la collectivité relève administrativement de la République française, elle en aurait perdu de facto toute spécificité et que son identité particulière se serait effacée.


Les causes de ce renouveau régional sont multiples.

 

De façon générale cette progression des revendications régionales[iii] et leur durcissement récent peuvent être mis en relation avec plusieurs facteurs et il faut bien en prendre conscience afin de se convaincre que cette affirmation des nationalismes locaux est une réalité, qu’elle sera durable et ne fera qu’augmenter. Refuser le dialogue ne fera pas disparaître ce phénomène, bien au contraire.

D’une part la réaction à la mondialisation et l’homogénéisation des modes de vie, des paysages, la disparition de traditions locales, la crainte de l’extinction de langues locales faute de nouveaux locuteurs, l’ouverture des frontières et la mobilité résidentielle produisent à toutes les échelles un retour aux « racines », la volonté de s’ancrer dans un territoire, une culture, une histoire, de préserver les héritages du passé, de réactiver une identité propre. À cet égard le renouveau des nationalismes, qui dès les années 1980 a fait éclater des États comme la Yougoslavie qui fédérait plusieurs « nations » n’est qu’une traduction parmi d’autres (citons le renouveau des parlers et langues locaux, les régionalismes, le retour des produits à l’ancienne, le succès de la littérature du terroir…) de cet ancrage identitaire dans le local face à la perte de repères collectifs et individuels.

 D’autre part le déclinisme français, les programmes scolaires qui n’enseignent plus la fierté d’appartenir à une patrie glorieuse, l’essor d’un communautarisme clivant ont effrité peu à peu le sentiment d’appartenance national et, par contrecoup, renforcé les mécanismes d’identification à des repères locaux.

En outre la réaction parfois rigide, à certaines périodes de l’histoire récente, des États centraux à toute demande d’approfondissement de l’autonomie n’ont fait que cristalliser le mécontentement et cela d’autant plus que les populations concernées ont l’impression qu’il y a véritablement deux poids deux mesures dans la prise en compte du sentiment identitaire. Sur le plan interne en effet les mêmes élus ou leaders politiques qui acceptent l’affirmation visible (par exemple par le vêtement) d’autres modes de vie et croyances, des entorses multiples aux lois de la République de populations d’origine exogène au nom d’un relativisme culturel très permissif sont souvent ceux qui se montrent les plus intransigeants envers les revendications identitaires de leurs propres minorités historiques (corses, basques, catalanes…). Sur le plan extérieur on félicite de même les Kurdes pour un référendum sans bases légales quand on le reproche aux Catalans, suscitant un profond sentiment d’injustice et un immense élan de solidarité pour la Catalogne espagnole chez les autonomistes et indépendantistes de régions françaises à forte identité. La France, reconnaîtrait aux autres peuples ce qu’elle refuse à ses propres minorités nationales. Pour se faire entendre, il s’agit donc de demander le plus pour obtenir au moins quelque chose. C’est ce qu’il s’est passé en Catalogne où nombre de votants, autonomistes, disent avoir soutenu l’indépendance pour faire pression sur l’État central face au blocage et au refus de dialogue depuis 2010 mis en place par le Partido popular.

 

En Corse les mêmes causes produisent les mêmes effets qu’ailleurs. Il est d’ailleurs amusant et (en apparence) paradoxal que le sentiment d’une démission de l’État central sur les questions identitaires ait fait des Corses au cours de l’été 2016, à la fois dans ce qu’ils exprimaient et dans le regard de nombreux continentaux, les défenseurs de l’identité nationale française lors de mouvements de protestations « musclés » face à des provocations et une agression islamiste sur la plage de Sisco, entraînant un arrêté municipal interdisant le burkini. Ce genre de réaction collective, épidermique, immédiate et identitaire, était présenté jadis par les médias comme une manifestation de xénophobie voire de racisme d’une île fermée sur elle-même hostile à toute modernité. Aujourd’hui elle est vécue par beaucoup au contraire comme un attachement aux valeurs laïques et une défense de l’identité et des modes de vie occidentaux face aux partisans de la charia. Les réseaux sociaux ont largement contribué à restaurer l’image de la Corse et à tempérer la présentation caricaturale de l’île par les politiques et les médias, incapables d’expliquer la complexité de ce territoire particulier et de sortir d’un manichéisme réducteur.

Rappelons que de très nombreuses revendications corses ont été satisfaites depuis les années 1980. La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région corse, complétée par la loi du 30 juillet 1982 relative aux compétences a été suivie par la promulgation de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse qui fait de l’île l’exemple unique d’une collectivité territoriale qui n’était plus une véritable région mais qui restait malgré tout régi par le droit applicable aux régions, sauf dans tous les cas où existait une disposition spécifique. La loi du 22 janvier 2002 lui a donné des compétences nouvelles sans en modifier le statut. Et le 7 août 2015 la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République comporte plusieurs nouvelles dispositions : la Corse n’est plus qualifiée de « collectivité territoriale », mais de « collectivité de Corse ». Enfin, à compter du 1er janvier 2018 la Corse est devenue une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution qui remplace à la fois les deux conseils départementaux et l’actuelle collectivité territoriale. C’est qu’à partir de la présidence de François Mitterrand, en particulier avec Pierre Joxe ministre de l’Intérieur (pourtant particulièrement jacobin mais qui eut une compréhension particulièrement éclairée du problème corse), il y eut une réelle volonté politique de traiter un problème lui-aussi avant tout politique, que l’on déclinait ensuite en termes juridiques et constitutionnels, ce qui faisait apparaître des limites dans la concrétisation des décisions (comme avec la notion de « peuple corse », proposée par Pierre Joxe mais rejetée par le Conseil Constitutionnel). Ces précisions méthodologiques ont toute leur importance car l’on verra un peu plus tard que la démarche actuelle du Président Macron est inversée, partant d’arguties juridiques qui empêchent de considérer le problème sur le plan politique.

La situation n’était donc pas bloquée, ce qui explique d’ailleurs que les revendications politiques passent aujourd’hui par la voie légale de l’élection et non plus, comme autrefois, par la violence terroriste. Alors comment comprendre aujourd’hui les nouvelles revendications corses, à la fois institutionnelles et sociétales, présentées comme une surenchère par certains ?

Il y a déjà le fait que les nationalistes, alliés au sein de la coalition Pè a Corsica, ont obtenu une victoire indiscutable (56,5 %) aux élections de décembre 2017 pour la nouvelle collectivité territoriale unique qui a vu le jour au 1er janvier 2018, réunissant les deux courants rivaux, les autonomistes autour de Gilles Simeoni (élu président de l’Exécutif de Corse) et les indépendantistes avec Jean-Guy Talamoni (président de l’assemblée de Corse). Le programme est clair : «  obtenir sous trois ans un véritable statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice et de le mettre en œuvre en dix ans  », reconnaissant que l’indépendance, que tous les membres de la coalition ne demandent évidemment pas, est dans «  l’imaginaire collectif  » mais qu’elle n’est pas d’actualité. Les « natio » Corses, depuis le renouveau du nationalisme local dans les années 1960, se sont toujours vu conseiller par les politiques continentaux d’user d’abord de la voie légale pour porter leurs revendications, ensuite de se faire élire dans les assemblées représentatives. On en reparlerait après. Or c’est fait. Forts de cette nouvelle onction du suffrage universel, les deux présidents ont engagé un dialogue depuis cet été avec Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, et avec le Président du Sénat Gérard Larcher.

Ensuite, comme on l’a rappelé précédemment, le renouveau des nationalismes est un phénomène mondial face à ce qui est perçu comme une double menace, la mondialisation qui homogénéise les identités et les provocations islamistes qui touchent également l’île dans une moindre mesure que sur le continent.

En outre la révision constitutionnelle de 2003 a accordé de très larges statuts d’autonomie à d’autres collectivités en Outremer (statut ex generis pour la Nouvelle Calédonie avec compétence pour adopter des « lois de pays », compétences à la carte pour les autres), permis quelques « entorses » aux lois républicaines dans certains territoires, prix du maintien dans la République (rois à Wallis-et-Futuna, polygamie à Mayotte). Les Corses demandent donc une inscription spécifique et séparée de la collectivité dans la Constitution. Parallèlement ils mettent en avant la comparaison avec d’autres espaces insulaires en Europe qui bénéficient d’un plus large statut d’autonomie (Sardaigne, Sicile, Baléares, Canaries et Madère). L’idée soutenue par de nombreux juristes (non corses) est celle d’un nouveau statut hybride qui donnerait davantage d’autonomie à la collectivité à l’instar de ses voisines méditerranéennes et des territoires français ultramarins (notamment sur le foncier, la fiscalité et la langue) mais qui ne contreviendrait pas au principe « d’indivisibilité de la République ».

A ces considérations institutionnelles s’ajoutent des revendications que l’on pourrait qualifier de sociétales, celles qui ont directement un impact sur la vie quotidienne des habitants de l’île. Il en est ainsi de l’amnistie réclamée pour ceux que les Corses considèrent comme des « prisonniers politiques » (des prisonniers suspectés d’être mêlés à des affaires de terrorisme) ou à défaut d’un « rapprochement familial » par une incarcération locale pour faciliter la visite des proches. La langue corse est également un point de discorde fondamental avec Paris : les nationalistes demandent sa coofficialité sur le territoire, notamment l’autorisation d’employer le corse à égalité avec le français dans les collectivités locales, l’enseignement, le droit insulaire, etc. Le bilinguisme serait obligatoire à l’école et un rapport de l’exécutif préconise même une obligation statutaire de formation en langue corse pour les fonctionnaires, agents publics et personnels des médias. Les Corses souhaitent également la création d’un statut de résident pour lutter contre la spéculation immobilière et de voir l’île envahie par des résidences secondaires et les locaux, dans l’incapacité d’acheter, contraints de partir sans espoir de retour. On rejoint ici les revendications institutionnelles : empêcher les gens qui en ont les moyens d’acheter en Corse au détriment des insulaires serait évidemment une discrimination, donc contraire à la Constitution, sauf si l’on y insère un dispositif spécifique pour la Corse, ce qui est précisément demandé.


Une situation qui semble bloquée

 

Du côté corse de nombreux espoirs avaient été placés dans la récente visite du Président Macron sur l’Île. Hélas, malgré de timides avancées, la situation paraît bloquée. Le Président avait choisi manifestement des symboles (la date anniversaire de l’assassinat du Préfet Érignac il y a vingt ans ; se faire accompagner de Jean-Pierre Chevènement, un des plus fermes opposants à l’autonomie corse et qui avait même démissionné en 2000 en raison de son hostilité aux accords de Matignon[iv]; assister à une cérémonie d’hommage au préfet avant même de rencontrer les élus nationalistes de l’île) auxquels a répondu un autre symbole (le refus initial d’installer le drapeau français aux côtés des drapeaux corse et européen). Aujourd’hui le paradoxe est qu’au moment où le fait politique s’est renforcé, on ne prend plus en compte la spécificité de l’île. Si on compare avec d’autres périodes de discussions entre la Corse et l’État que ce soit en 1982 avec Mitterrand, en 1989 avec Joxe, en 1998-2002 avec Jospin, il y a eu, à chaque fois, d’abord un cadre et une volonté politiques qui révélaient l’acceptation claire par l’État de l’existence d’une spécificité corse. Ensuite on tentait de décliner ces avancées en termes juridiques et constitutionnels. Aujourd’hui on ergote au contraire sur des difficultés juridiques en pinaillant sur des mots : peut-il y avoir plusieurs peuples (dont le peuple corse) au sein d’un peuple (le peuple français) ? Pierre Joxe voulait l’inscrire dans la Constitution, le Conseil d’État avait rejeté cette proposition au nom de l’indivisibilité de la République : une nation, un peuple[v]. Vingt-cinq ans après, on revient et on bloque sur cette question purement sémantique en l’enrobant de grands principes incantatoires ! A l’heure où les nationalistes corses ont obtenu une écrasante majorité par les urnes, le gouvernement inverse la question et ne pose plus le problème en termes politiques mais insiste sur des difficultés techniques et juridiques, posant des préalables et des lignes rouges infranchissables. C’est un dialogue de sourds qui révèle d’une part l’absence de prise en compte du fait politique corse par le Président de la République et sa méconnaissance du dossier, non pas parce qu’il serait incapable de le comprendre mais parce que, de toute évidence, cette échelle locale ne l’intéresse pas.  Son attitude cassante lors de sa venue sur l’île démontre clairement qu’il n’y a pas de volonté politique de situer le dialogue en cours à la hauteur des enjeux. C’est le triste constat fait par les nationalistes, principalement par Gilles Simeoni, parlant « d’occasion historique manquée » de faire avancer conjointement les revendications corses tout en inscrivant l’île plus fermement dans le cadre de la République française.

 

Certes le problème n’est pas simple. Bien évidemment beaucoup, à commencer par nos dirigeants, craignent que la reconnaissance d’identités locales affaiblisse le sentiment d’appartenance à la nation, déjà fort mal en point. Or l’on sait que, face aux multiples menaces qui pèsent sur nos États (terrorisme, déclassement économique…), l’échelle nationale doit être plus que jamais renforcée. À ceci s’ajoute le fait que la reconnaissance de micro-États affaiblirait des économies nationales déjà en crise. En effet les territoires « sécessionnistes » sont souvent riches (mais pas toujours, comme le montre l’exemple corse) et, à ce titre, contribuent à la solidarité nationale bien plus qu’ils n’en reçoivent, et cela sans contrepartie en termes d’approfondissement de l’autonomie. C’était notamment le cas des Catalans qui non seulement n’ont rien obtenu en termes d’autonomie fiscale ou de reconnaissance symbolique au niveau de la Constitution mais qui, en outre, ont vu reculer certains de leurs droits spécifiques reconnus par l’Estatut de 2006, supprimés en 2010. Enfin le morcellement de l’Europe en États nouveaux rendrait tout accord majoritaire de plus en plus difficile. Et à l’heure où l’on parle de mettre en place une défense européenne, elle n’en serait que plus compromise par l’indépendance de petits territoires dont on sait que la défense n’est pas une dépense prioritaire et qu’ils délèguent cette compétence aux États les plus puissants.


Le maintien du dialogue est nécessaire

 

Au-delà des ressentiments (et l’auteur de cet article a toujours du mal à oublier les groupuscules cagoulés défiant la République et le traumatisme de l’assassinat d’un préfet de la République) et des convictions personnelles (à dominante jacobine ou girondine, pour reprendre la vieille opposition politique), l’honnêteté intellectuelle oblige à dépasser le manichéisme, à tenter de penser la complexité et à agir avec pragmatisme dans la recherche du Bien commun.

La réaffirmation de l’identité nationale et des valeurs françaises est une priorité, mais il faut bien comprendre, comme nous l’expliquent les autonomistes, qu’elle n’exclut nullement la reconnaissance des identités régionales et des « nationalismes » au sens historique du terme (Corses, Catalans…).    

Le fait est que cette affirmation identitaire est une réalité, qu’elle s’est constituée sur des bases historiques et culturelles, qu’elle sera durable et ne fera qu’augmenter. Refuser le dialogue ne fera pas disparaître ce phénomène, bien au contraire. Le dialogue est plus que jamais nécessaire afin de renforcer le camp autonomiste et éviter une escalade des revendications indépendantistes comme en Catalogne, dont les élus ont été contraints, devant la surdité de l’État central, de demander le plus pour espérer relancer le processus et avancer a minima. Ensuite la puissance d’une nation repose, entre autres éléments essentiels, sur le consensus, l’envie de populations disparates de se réunir sur des valeurs, un héritage et un projet commun.

Il faut donc reconnaître ces cultures communautaires, ces usages régionaux, ces spécificités marquées, et en Corse en particulier, dès lors que le sentiment identitaire ne se conçoit plus majoritairement en dehors du continent mais dans un système d’identités emboîtées et complémentaires et où de nombreux « natios » envisagent désormais une autonomie renforcée en parfaite intégration dans la République française. Il s’agit de comprendre la spécificité de ce bout de France îlien, comme on l’a fait pour les territoires ultramarins lors de la révision constitutionnelle de 2003. Il semble définitivement acté, puisque le Président Macron s’y est, comme Mme Gouraud, engagé, qu’un article spécifique sera consacré à la Corse dans la Constitution (ce qui permettra de ne plus la ramener aux articles 72, 73 et 74 qui énumèrent les statuts et compétences des diverses collectivités au sein de la République). Mais ce n’est là qu’un aspect de ce que les nationalistes veulent présenter au Président Macron. Les questions relevant de la vie quotidienne sont prioritaires aux yeux des électeurs corses. Le contexte est favorable, un rendez-vous historique reste possible après le dialogue de sourds de février. Puisse le chef de l’État être bien conseillé ou prendre la peine d’étudier le dossier corse au-delà des caricatures, des rancœurs et des a priori.

 



[i] Il est néanmoins est indéniable que l’unité italienne est récente et que le morcellement géographique de l’Italie a permis, jusqu’au siècle dernier, la permanence de territoires multiples aux identités variées, irréductibles aux autres, comme l’avait si bien montré Fernand Braudel dans son ouvrage sur la Méditerranée et le monde méditerranéen.

 

[ii] Anne Meistersheim, Figures de l’île, Ajaccio, 2001

Fondatrice de l’IDIM (Institut de développement des îles de la Méditerranée. Université de Corse).

 

[iv] Les « Accords de Matignon», résultats de tractations entre le gouvernement de Lionel Jospin et les mouvements nationalistes corses, avaient pour objectif de redéfinir la place de la langue corse et les relations avec les mouvements nationalistes. Ils aboutissent à la loi de janvier 2002 et à la démission le 29 août 2000 du Ministre de l’Intérieur, en désaccord avec le Premier Ministre et qui en avait appelé à «  la vigilance républicaine  » : «  Les nationalistes corses doivent être — politiquement s’entend — combattus ».

 

[v] L’article 1er du statut de 1991, adopté par le Parlement malgré l’avis défavorable du Conseil d’État, qui l’avait considéré comme inconstitutionnel, disposait que «  la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques  ». Le Conseil constitutionnel a jugé que « la mention faite par le législateur du “peuple corse, composante du peuple français” est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français sans distinction d’origine, de race ou de religion » (cons. n° 13).

 

par William Thay 2 novembre 2024
"L’exemple de la Grèce nous montre ce qui nous attend si rien n’est fait. Elle a sombré dans une crise économique majeure en raison de déficits publics incontrôlés, une dette croissante et des réformes structurelles sans cesse repoussées. Cet exemple montre que lorsqu’un État n’est plus jugé compétent pour s’occuper de prérogatives régaliennes (la protection des frontières pour les Grecs), les peuples refusent les réformes structurelles ou les économies pourtant nécessaires pour se redresser."

Une tribune de William Thay à lire sur le site Valeurs Actuelles : 
par Nicolas Baverez 2 novembre 2024
Une réflexion très intéressante de Nicolas Baverez publiée dans le Figaro le 21 octobre sur les impasses de la stratégie énergétique européenne :

CHRONIQUE - La stratégie de décarbonation de l’UE est une faillite qui contraste avec les succès des États-Unis et de la Chine dans ce domaine.
L’accélération du changement climatique s’est confirmée en 2023. L’année a établi un nouvel et inquiétant record de température de la planète, avec une hausse de 1,45 degré Celsius au-dessus de la période préindustrielle. Les phénomènes climatiques extrêmes se sont multipliés. Ils ont provoqué 74.000 décès et 250 milliards de dollars de dommages. Simultanément s’amplifie l’effondrement de la biodiversité avec une chute de 73 % des populations d’animaux sauvages au cours des cinquante dernières années.
À la veille de la COP 29 qui se réunit en novembre à Bakou - ce qui ne peut manquer de susciter le scepticisme -, l’urgence climatique est avérée. L’Union européenne, qui a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 32 % depuis 1990, a pris une longueur d’avance dans la conduite de sa transition. Mais la brutale embardée déclenchée en décembre 2019 après la poussée des partis écologistes se révèle destructrice pour sa compétitivité, pour sa sécurité et pour sa souveraineté. Le «Green Deal » se transforme en « green death ».
Le «Green Deal » entend instaurer la neutralité carbone dans l’Union en 2050 et obtenir une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. Au travers d’une soixantaine de textes, il bouleverse le modèle économique de nombreux secteurs - tels l’agriculture (« From farm to fork »), l’énergie, les transports ou la finance -, et soumet l’ensemble des entreprises à de nouvelles contraintes réglementaires très contraignantes et coûteuses via les directives CRDS (comptabilité extra-financière) et CS3D (devoir de vigilance) ou encore la taxonomie qui définit les activités dites « vertes ».
L'Union européenne a décidé de formater a priori l'offre et la demande des secteurs clés à l'horizon de 2050 et d'obliger les entreprises à s'y conformer à travers un carcan de normes, de taxes et de pénalités. Et ce sans aucune évaluation de leur impact économique, social, écologique et stratégique
Au lieu d’élaborer un cadre pour la décarbonation de l’économie en confiant aux acteurs économiques et sociaux le soin de s’y adapter, l’Union européenne a décidé de formater a priori l’offre et la demande des secteurs clés à l’horizon de 2050 et d’obliger les entreprises à s’y conformer à travers un carcan de normes, de taxes et de pénalités. Et ce sans aucune évaluation de leur impact économique, social, écologique et stratégique. Cette planification arbitraire, autoritaire et centralisée conduit l’Europe à la faillite, tout aussi sûrement qu’elle a provoqué l’effondrement de l’Union soviétique.
Faillite énergétique. L’Union, sous la pression de l’Allemagne, n’a pas fait le choix d’une énergie décarbonée associé à une neutralité des technologies, mais d’une priorité absolue en faveur des renouvelables - ce qui implique la sortie du nucléaire civil mais aussi militaire qui en est indissociable. Elle organise ainsi une pénurie structurelle d’énergie, qui a pour corollaire des coûts cinq fois supérieurs à ceux des États-Unis et deux à trois fois à ceux de l’Asie. Elle fragilise les réseaux d’électricité et crée des risques de black-out en éliminant les sources d’énergie pilotables au profit des intermittentes. Enfin, elle bride l’innovation utile pour subventionner des chimères, comme l’avion, le train ou la voiture à hydrogène.
Faillite économique. Le «Green Deal » planifie l’euthanasie des pôles d’excellence européens, dans la continuité de la liquidation du secteur des télécommunications qui dominait le monde en 2000. « Farm to fork », en prévoyant de réduire de 50 % le recours aux pesticides et de 20 % les engrais chimiques d’ici à 2030, en mettant en jachère 10 % des terres, en obligeant à faire progresser la part de la production biologique de 8,5 % à 25 % alors qu’elle n’a pas de marché, détruit l’agriculture européenne et organise la dépendance vis-à-vis d’importations qui n’appliquent aucune des normes européennes. L’interdiction du moteur thermique en 2035 programme la ruine des 17 000 entreprises de l’industrie automobile européenne qui emploient 13,8 millions de personnes, soit 8 % des emplois de l’Union. Elles devront verser 15 milliards de pénalités dès 2025 ou baisser leur production de 25 % pour se conformer à l’obligation de fabriquer 20 % de véhicules électriques - et ce alors qu’ils ne représentent que 12,5 % du marché et que les ventes ont reculé de 11 % sur un an en raison de leur faible autonomie, de leur fiabilité douteuse, de l’absence de réseau de recharge et de leur coût prohibitif.
Faillite stratégique. Le «Green Deal » organise la délocalisation de l’agriculture vers les grands émergents et celle de l’industrie vers les États-Unis, comme on le constate dans la chimie. Il offre les marchés de l’énergie et de l’automobile à la Chine qui, grâce à des aides publiques massives, a construit des positions de quasi-monopole dans le véhicule électrique, les batteries, les renouvelables, les matériaux critiques et leur raffinage.
Faillite politique. Comme on l’a constaté avec l’insurrection des agriculteurs, le «Green Deal » fonctionne comme une machine à détruire l’offre et l’emploi européens ainsi qu’à paupériser la population. Il constitue désormais, après l’immigration, le plus puissant vecteur du vote d’extrême droite sur notre continent.

Cesser de confondre la fin et les moyens

La dérive de la transition écologique en Europe contraste avec les succès des États-Unis et de la Chine. L’IRA, en stimulant l’offre par le bas, conjugue réindustrialisation, soutien de l’innovation, transition climatique et stabilisation de la classe moyenne. La Chine a marié compétitivité et impérialisme en planifiant depuis vingt ans la dépendance du reste du monde à sa production de produits, de matières premières et d’équipements vitaux pour la décarbonation de l’économie.
La transition écologique demeure un impératif et un atout potentiel pour l’Union. Mais à la condition de la repenser, comme le recommande Mario Draghi, du côté de l’offre, de l’investissement et de l’innovation. En la repositionnant dans la compétition des blocs qui structurent le système géopolitique. En réalignant États, entreprises et citoyens. En rompant avec les objectifs et les calendriers irréalistes. En réintroduisant la flexibilité dans les choix technologiques. En libérant les financements grâce à la révision de Bale 3, Solvabilité 2, des directives CSRD et CS3D et de la taxonomie - dont la défense doit être exemptée. En évaluant et compensant ses coûts économiques et sociaux. En la soumettant à l’impératif de la souveraineté de l’Europe et de la défense de la liberté. Bref, en cessant de confondre la fin et les moyens pour réconcilier enfin l’écologie avec la compétitivité, la solidarité et la sécurité.




par Othman Nasrou 29 octobre 2024

Dans Valeurs Actuelles, Othman Nasrou, le secrétaire d'État chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations revient sur la radicalisation musulmane et dénonce la responsabilité de La France insoumise dans l'explosion de l'antisémitisme :





Valeurs actuelles . Les 13 et 16 octobre, nous commémorions les assassinats de Dominique Bernard et Samuel Paty ; 78 incidents ont été recensés lors des minutes de silence leur rendant hommage, indique l’Éducation nationale. Comment interprétez-vous ces chiffres ?
Othman Nasrou. Nos remontées ont malheureusement conduit à revoir ces chiffres à la hausse. On parle désormais de 119 incidents, avec des cas concrets extrêmement révélateurs du climat qui pèse sur notre pays. Dans un lycée d’Indre-et-Loire, un parent d’élève a demandé que sa fille n’assiste pas à la minute de silence.

Ce parent a cédé parce que la direction a tenu bon et le moment de recueillement s’est déroulé sans accroc. Théoriquement, il n’y a pas eu d’incident, mais je considère qu’il faut faire preuve de transparence et donc inclure ce type de comportements dans nos rapports. Aucune atteinte à la laïcité ne doit être banalisée. Le “pas de vague”, c’est terminé. On nomme les choses, on les caractérise, on les mesure, on les rend publiques et on les combat.

Alors nommons-les. Quelle est la typologie de ceux qui ont perturbé, voire refusé, ces minutes de silence ?
Nous assistons à des revendications identitaires qui visent à séparer ceux qui les expriment du reste de la société. La montée du communautarisme participe directement à ces atteintes à la laïcité et à la cohésion nationale. C’est une véritable guerre que nous devons mener en ne laissant passer aucune situation. Le temps joue contre nous.

Un communautarisme qui est essentiellement islamique ? On parle rarement de communautarisme protestant…
L’islamisme politique est aujourd’hui le premier ennemi de la laïcité. Cette idéologie progresse partout dans notre société et tout particulièrement chez les jeunes générations. Certaines données qui nous reviennent sont saisissantes.

En 2024, 21 % des mis en cause pour association de malfaiteurs à caractère terroriste sont des mineurs radicalisés. C’était 1 % en 2022 ! Une partie de cette jeunesse est aujourd’hui susceptible de rompre avec la République. Notre tâche est immense.

Il existe une responsabilité très lourde d’une partie de la gauche, qui insuffle dans les esprits l’idée que la France serait islamophobe.

Comment sanctionner plus sévèrement ces atteintes ?
En milieu scolaire, je souhaite que chaque signalement caractérisé d’atteinte à la laïcité et d’agression contre un membre de la communauté éducative donne lieu à un signalement pénal. Je sais que ma collègue Anne Genetet y veille. Notre main ne doit pas trembler et nous devons nous réarmer.

Le Premier ministre a ouvert la voie à l’instauration de courtes peines. Le garde des Sceaux a évoqué des exceptions à l’excuse de minorité. Avec Bruno Retailleau, nous estimons que les atteintes à la laïcité peuvent intégrer ces dispositifs.

Un individu qui aurait commis une atteinte à la laïcité pourrait donc, en théorie, passer quelques semaines en prison ?
Sur les faits les plus graves, c’est en tout cas mon souhait, oui. Frédéric Péchenard, l’ancien directeur général de la Police nationale, me parlait souvent en reprenant cette citation : « Ce qui compte, ce n’est pas tant la sévérité de la peine que sa certitude. »

Selon un sondage Ifop publié en décembre 2023, 78 % des Français musulmans estiment que « la laïcité telle qu’elle est appliquée aujourd’hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers les musulmans » . La question de la compatibilité entre l’islam et la laïcité doit-elle se poser ?
Je fais une différence nette entre nos concitoyens français de tradition, de culture et de confession musulmane et ceux qui veulent les séparer de la République. Je serai intransigeant sur la distinction entre une religion, l’islam, et une idéologie, l’islamisme, qui prend aussi une forme politique. Les citoyens musulmans qui respectent les règles doivent être respectés, les islamistes doivent être combattus.

Il existe également une responsabilité très lourde d’une partie de la gauche, qui insuffle dans les esprits l’idée que la France serait islamophobe et la laïcité incompatible avec l’islam. Tous ceux qui laissent croire cela le font à dessein pour obtenir un carburant électoral, notamment dans un certain nombre de quartiers. Ce discours vient évidemment donner du crédit aux thèses séparatistes. C’est extrêmement dangereux.

Contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, l’antisémitisme en France est tout sauf « résiduel » .

Jean-Michel Blanquer affirmait qu’une société où les femmes sont voilées n’était tout simplement pas souhaitable. Qu’en pensez-vous ?
La mixité entre les femmes et les hommes, l’égalité entre les femmes et les hommes, sont des principes non négociables. Concernant les tenues vestimentaires, nous devons aller au bout de ce qui est prévu dans nos textes : préserver les écoles et le service public des signes religieux et de l’entrisme. Nous avons aussi à faire appliquer jusqu’au bout la loi de 2010 sur le voile intégral.

Voile, qamis, les tenues vestimentaires sont-elles les signaux faibles du séparatisme ?
À l’école, elles sont pour moi au contraire des signaux forts. Gabriel Attal a eu raison de prendre une circulaire pour réaffirmer l’interdiction de l’abaya. Cette interdiction, contestée au départ, avec plus de 1 000 contestations signalées par les établissements au moment de son entrée en vigueur, est aujourd’hui entrée dans les mœurs.

Avec de la volonté politique, il est possible de réaffirmer nos principes. Mais il ne faut pas se tromper de débat : la question du séparatisme n’est pas qu’une simple question vestimentaire. L’école de la République doit inculquer les principes républicains à tous les enfants. Et ce que l’école apprend ne doit pas être déconstruit le soir par des parents ou des “grands frères”. Le rôle des familles est là aussi crucial.

Les actes antisémites sont en hausse de 1 000 % depuis l’attaque du 7 octobre. Qui en sont les responsables ?
La France insoumise a directement ouvert la voie à cette explosion de l’anti sémitisme. Il faut avoir le courage de le dire. Ce sont des chiffres qui devraient tous nous alarmer. La haine anti sémite se répand sur tout le territoire. Sur la dernière année, on parle de 1 600 actes répertoriés, 95 départements sont concernés.

Contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, l’antisémitisme en France est tout sauf « résiduel » .

Selon une étude de la Fondapol, 56 % des Français musulmans estiment que les juifs « utilisent dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi » . C’est 29 points de plus que dans le reste de la population…
Personne ne peut aujourd’hui nier le fait que l’islamisme politique, couplé à la rhétorique de l’extrême gauche, est le premier moteur de l’anti sémitisme dans notre pays. Ce sont des idées nauséabondes. La République ne connaît que des Français, égaux en droits et en devoirs et libres de croire ou non.

Les sénateurs Les Républicains Stéphane Le Rudulier et Roger Karoutchi ont déposé, le 1er octobre, une proposition de loi visant à pénaliser l’antisionisme. Qu’en pensez-vous ?
Sous couvert d’antisionisme, certains commentateurs versent évidemment dans l’antisémitisme le plus total. Des failles demeurent dans la législation actuelle. Nous signalerons à la justice chaque acte, chaque déclaration qui franchirait la ligne rouge et qui ferait de nos compatriotes de confession juive des cibles.

Je vois bien que ceux, à l’extrême gauche, qui font preuve de complaisance vis-à-vis de l’islamisme politique n’hésitent pas en revanche à prendre pour cible les chrétiens.

Quelles différences de mentalité établissez-vous entre l’ancienne génération d’immigrés et la génération actuelle ?
Le moteur de l’intégration est cassé. La France a renoncé à expliquer qu’elle était le fruit d’une longue histoire, riche et complexe dont on peut être fier. Elle a préféré marteler que le pays découlait d’une page blanche. Sous la pression d’une partie de la gauche, la France a peu à peu fait le choix de la “désassimilation”.

On a incité ceux qui arrivaient à se réclamer uniquement et exclusivement de leur pays d’origine, car on avait consciemment fait disparaître le socle commun national.

L’immigration est-elle une chance pour la France ?
Les flux non contrôlés ne peuvent pas être une chance. J’ai toujours pensé que l’immigration devait être choisie, à l’instar de ce que pratiquent certains pays européens.

Polémique autour de la vraie-fausse parodie de la Cène aux JO, Complément d’enquête sur l’établissement catholique Stanislas, flambée d’actes antichrétiens… Assiste-t-on, en France, à une vague de christianophobie ?
Les chrétiens sont aujourd’hui quotidiennement pris pour cible. Il n’y a pas de raison d’occulter ces actes, qui sont tout aussi inacceptables que les autres. Je vois bien que ceux, à l’extrême gauche, qui font preuve de complaisance vis-à-vis de l’islamisme politique n’hésitent pas en revanche à prendre pour cible les chrétiens.

Il est temps qu’on retrouve la force de défendre nos principes républicains, de manière universelle, sans outrance mais sans compromission.



par Samuel-Frédéric Servière 17 octobre 2024
Le budget qui nous est proposé est un budget en trompe l'oeil qui se base encore une fois essentiellement sur des hausses d’impôts ....

"Les 40 milliards d'économies affichées sont donc sans doute un peu gonflés pour contrer un tendanciel surestimé. Il est impossible de donner des ordres de grandeurs, mais dans la mesure où la dépense publique elle-même baisserait en volume de 0,5 point entre 2024 et 2025, on peut en déduire que les seuls vrais efforts en dépenses seront de 15 milliards d'euros par rapport à une dépense évoluant au même rythme que le PIB en valeur (soit +3% en 2025). Ainsi, contrairement à l’affichage de l’effort réalisé, il nous semble que les économies réellement effectuées permettant d’améliorer le solde public par rapport à celui de 2024 ne représenteraient pas 2/3 de l’ajustement proposé mais sans doute beaucoup moins, sans doute 15 milliards soit ¼ des efforts affichés"

A analyse détaillée à lire sur le site de l'IFRAP :
par Le bureau de Lignes Droites 17 octobre 2024


La conférence organisée par Lignes Droites le 10 octobre sur le sujet de l’indépendance de la presse a réuni plus de cinquante personnes autour de notre conférencier Monsieur Nicolas Boutin.

M. Boutin a livré une analyse synthétique et passionnante du métier de sa journaliste et de sa condition relative à son indépendance à l’égard de ses actionnaires, de ses sources et des influences politiques.

A l’aide d’exemples précis et documentés, et mû par une volonté de mesure et d’objectivité, M. Boutin a permis à l’audience de plonger au cœur du métier de journaliste, de ses contraintes et de ses doutes, aussi bien que de sa grandeur – en particulier pour ce qui concerne l’étape essentielle de la validation de l’information avant sa publication, le journaliste devant être avant tout respectueux de la vérité, droit primordial du lecteur.

Il a notamment illustré de façon singulièrement convaincante combien les choix éditoriaux ou les angles d’attaque permettent de placer la relation d’un fait au service d’une ligne éditoriale ou d’un message politique.

La séance très intense d’échanges avec la salle a ensuite permis d’étudier le sujet de la prédominance des médias de gauche dans le paysage politique ; cette prédominance, pour être un fait aujourd’hui, ne constitue aucunement une fatalité et les moyens de la contrer sont nombreux : augmentation des abonnements à la presse écrite de la part du public de droite, augmentation des interactions des citoyens de droite avec les journalistes afin de fournir des sources de droite aux journalistes, amélioration des conditions d’emploi des journalistes en début de carrière.

La conférence a également été l’occasion par M. Boutin de nous partager un vrai plaidoyer pour la presse, de nous transmettre un message d’optimisme au peuple de droite, et en particulier sur le fait que le paysage médiatique a amorcé un virage (Valeurs Actuelles, CNews, ParisMatch, Europe1, ...) qui lui permettra graduellement de secouer la mainmise des idéologies de gauche sur la ligne éditoriale de la plupart des médias. Mais il a souligné que l'information était désormais trop souvent gratuite, et de qualité déplorable .... et qu'il était donc essentiel d'éduquer nos jeunes à l'importance de soutenir les "vrais" journalistes, de faire l'effort de ne pas se contenter d'une information gratuite mais superficielle, de lire les articles de fond et de rechercher une information de qualité (en y mettant le prix), étape essentiel pour se construire un avis de citoyen réellement pertinent et éclairé.

Nous vous attendons nombreux pour nos prochaines conférences.

    Le bureau de Lignes Droites


par Bruno Retailleau 3 octobre 2024

Une interview de Bruno Retailleau dans le Figaro
Par Carl Meeus, Guillaume Roquette et Judith Waintraub , pour Le Figaro Magazine

LE FIGARO. - Pour Nicolas Sarkozy, «une triple erreur politique, administrative et judiciaire» a conduit au meurtre de la jeune Philippine. Partagez-vous son analyse   ?


Bruno RETAILLEAU. - Il y a eu à l'évidence des dysfonctionnements, qui ne sont pas nouveaux et qui se répètent. J'ai eu personnellement un ami assassiné par un homme qui s'était maintenu irrégulièrement sur le sol français malgré trois OQTF. En 2020, il avait incendié la cathédrale de Nantes. Au bout d'un an de détention provisoire, son état mental s'étant détérioré, il avait été libéré sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention, puis avait tué mon ami prêtre, qui l'hébergeait. À l'époque, les beaux esprits m'avaient expliqué que toutes les règles, toutes les procédures avaient été correctement respectées. Il s'est passé exactement la même chose avec ce Tunisien incarcéré en août parce que suspecté d'enlèvement, de séquestration et de viol.

Placé en centre de rétention administrative (CRA) à Nîmes, il avait été libéré en moins de 48 heures par le juge des libertés pour raison médicale : il devait être opéré pour une rupture des ligaments croisés, une intervention qui n'a rien de vital. Et c'est là qu'il aurait commis ces crimes. Quand le droit ne protège plus, il faut le changer. Dans l'affaire Philippine, on retrouve également toutes ces carences juridiques qui finissent par désarmer l'État. Concernant les CRA, j'ai demandé à l'inspection générale de ma propre administration de me faire un point sur cette question. Comme Michel Barnier l'a annoncé, nous allons prolonger les délais de rétention.

Ils sont actuellement de 90 jours…

La directive européenne fixe un délai de six mois, c'est-à-dire 180 jours, qui peut être prolongé de 12 mois. Pour les actes terroristes la loi française prévoit déjà un délai pouvant aller jusqu'à 210 jours. Pour les crimes les plus graves, notre main ne doit pas trembler : il faut aller jusqu'à 180 jours, voire 210 jours. Pourquoi la France s'interdirait de faire ce que d'autres font pour protéger leurs populations alors que ces personnes sont, en plus, en situation irrégulière ? Bien sûr, cela nécessite le vote d'une loi mais chacun prendra ses responsabilités devant le peuple. Je souhaite que l'on agisse par tous les moyens. Je vais ainsi demander aux préfets qu'ils fassent systématiquement appel de la libération d'un CRA, même si cet appel n'est pas suspensif.

La juge des libertés avait-elle été informée par les services compétents de l'imminence de la délivrance du laissez-passer consulaire   ?

L'enquête que j'ai demandée à l'inspection générale le dira. Mais on ne peut que constater que le meurtrier présumé de Philippine a été libéré du CRA le 3 septembre et que le laissez-passer du Maroc est arrivé le lendemain. De même, les troubles graves à l'ordre public et notamment le risque de réitération doivent être des critères mieux appréciés lors de l'examen des dossiers. Je voudrais aussi que l'État soit plus exigeant vis-à-vis des associations qui interviennent en CRA. De même, je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) et non des associations, qui sont juge et partie.

Associations financées par l'État…

Oui, et qui, à ce titre, doivent agir en cohérence avec l'État.

Quel est le montant des subventions versées à ces associations   ?

Un milliard d'euros pour toutes les associations chargées d'accueillir et d'assister les migrants.

Le meurtre de Philippine soulève aussi la question de la justice des mineurs…

Oui, bien sûr. Son assassin présumé a été condamné à seulement sept ans de détention pour viol, grâce à l'excuse de minorité. Pour un majeur, c'est le double. Il faut sans doute inverser la logique pour faire de l'excuse de minorité l'exception, motivée par le juge, et non plus la règle. Ce qui requiert, là aussi, une loi.

Pour mettre davantage d'étrangers en situation irrégulière en CRA, il faut créer des places et recruter des agents. Le gouvernement est-il décidé à y mettre les moyens   ?

Oui, nous avons un programme de construction qui nous permettra d'atteindre 3000 places de CRA à l'horizon 2027. Il doit impérativement être tenu. Nous en avons besoin, notamment pour les individus les plus dangereux. Certains peuvent d'ailleurs être transférés dans leur pays d'origine pour y purger leur peine, sans passer par un CRA. La procédure de transfèrement existe, mais elle n'est pas suffisamment utilisée. Il faut intensifier le dialogue avec les pays d'origine. Prenons l'exemple du Maroc : en 2023, nous lui avons donné 238.750 visas et nous n'avons obtenu que 725 laissez-passer et réalisé 865 départs forcés. La semaine dernière, j'ai eu mon homologue marocain. Nous allons travailler ensemble à améliorer la réponse aux demandes de laissez-passer.

Gérald Darmanin a tenté un bras-de-fer avec le Maroc sur les visas, sans succès. Pourquoi réussiriez-vous là où votre prédécesseur a échoué   ?

Je compte utiliser trois leviers qui sont à notre disposition. Il faut assumer de conditionner notre politique de visas à la délivrance des laissez-passer, comme l'a dit le premier ministre, ce dont je me félicite. J'ai la compétence en matière de visas, je dialoguerai avec mon collègue ministre des Affaires étrangères pour que nous coordonnions nos efforts. Nous sommes très – trop – généreux, sans être payés de retour. En 2023, l'Algérie a obtenu 205.853 visas, et elle n'a repris que 2191 de ses ressortissants, dont 1680 en éloignement forcé. Ce n'est pas acceptable. Le deuxième levier, c'est la coopération et notamment l'aide au développement. C'est un outil fondamental, qui doit être utilisé. Nous devons exiger des contreparties à l'aide que nous accordons.

Enfin, un mécanisme de préférence commerciale, autrement dit de droits de douane, est actuellement en renégociation à Bruxelles : c'est une opportunité historique d'exiger la réciprocité sur des domaines qui sont importants pour les Européens. La clé de l'efficacité, c'est de ne rien négliger et d'agir dans le cadre d'une réponse globale cohérente. Car il n'y a pas de mesure miracle pour reprendre le contrôle de notre politique migratoire. Il faut utiliser tous les leviers, à partir de deux idées simples. D'abord, la France ne doit pas être plus attractive que les autres pays européens. Il faut revoir toutes nos règles pour faire en sorte de ne jamais être au-dessus de la moyenne européenne, qu'il s'agisse des aides, des soins ou du regroupement familial. Ensuite, il faut essayer de juguler les entrées.

Comment   ?

Il y a quelques mois, à l'initiative du Danemark, quinze pays européens ont envoyé une lettre à Bruxelles pour revoir la liste des pays sûrs pour les demandeurs d'asile, c'est-à-dire qui répondent à des exigences de protection des droits et des libertés individuelles. L'idée est que la demande d'asile soit examinée dans des pays sûrs hors de l'Union européenne. Cela nécessiterait une révision de la Constitution. Surtout, je souhaite que l'on négocie rapidement des accords avec ces pays tiers pour leur renvoyer des étrangers en situation irrégulière dès lors qu'on a la preuve qu'ils y ont transité ou qu'ils y ont des liens familiaux, même quand ces pays ne sont pas d'origine. Cela est permis par la directive Retour. Je pense, par exemple, au Kazakhstan ou à l'Ouzbékistan pour les Afghans. Je nommerai dans les semaines à venir une personnalité chargée de dialoguer avec ces pays pour préparer ces accords. C'est une voie qui a été trop peu explorée.

Au niveau européen, faut-il renégocier la directive Retour ? C'est un impératif. D'ailleurs, sa révision est en chantier depuis 2018 mais rien n'a avancé. Nous avons, là encore, une opportunité à saisir car de plus en d'États veulent la modifier, que leurs gouvernements soient conservateurs ou sociaux-démocrates, comme celui d'Olaf Scholz en Allemagne. Telle qu'elle est rédigée aujourd'hui, la directive Retour rend quasiment impossible les retours. D'autant plus que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne a non seulement interprété plus restrictivement les dispositions de la directive en imposant d'accorder aux clandestins un délai d'un mois pour repartir volontairement. Résultat : ils s'évaporent dans la nature ! Il faut également renverser la charge de la preuve : si l'étranger n'est pas capable de justifier qu'il a droit à l'asile ou au séjour, il doit être placé en rétention ou en centre d'attente pour être ensuite éloigné. De ce point de vue, le Pacte asile et immigration nous fournit un outil juridique qui peut nous aider, puisqu'il considère qu'un étranger arrivant aux frontières de l'Europe n'est pas juridiquement sur le sol européen, ce qui permet de le placer en zone d'attente. L'Europe doit reprendre le contrôle de ses frontières.

L'Allemagne les a rétablies alors que la directive Retour est toujours en vigueur…

Ce qu'ont fait les Allemands, nous le faisons depuis l'attentat du Bataclan en 2015. Tous les six mois, une prolongation de cette dérogation au principe de libre circulation est demandée. Dans quelques jours, je vais signer la 18e demande de dérogation. Nous allons renforcer les contrôles aux frontières, notamment sur des points névralgiques. La difficulté, c'est que contrairement à la plupart des partenaires européens, nous n'avons pas de corps unifié de garde-frontière ; nous allons y remédier. Mais encore une fois, c'est dans les pays d'origine que beaucoup se joue. L'Italie a diminué de 65 % le nombre de clandestins arrivant sur ses côtes grâce aux accords qu'elle a pu nouer avec la Tunisie et avec l'Égypte.

Et sur le plan national   ?

Tous les décrets de mise en œuvre de la loi immigration n'ont pas encore été pris et d'autres mesures peuvent être prises au niveau réglementaire. J'attacherai beaucoup d'importance à ce que très vite, l'ensemble de l'arsenal soit effectif. Je vais aussi donner des instructions aux préfets pour resserrer les conditions du regroupement familial. Elles doivent être plus restrictives.

Il suffit d'une circulaire   ?

Oui, pour partie. Pour le reste, il faudra passer par la loi. Mais trop souvent, l'administration ne va pas au maximum de ce que le droit autorise. Par exemple, sur les protections dont bénéficient les étrangers condamnés pour leur expulsion. J'avais fait adopter au Sénat un amendement sur la levée de ces protections lors de l'examen du texte de loi sur l'immigration. Je veux être bien certain que les préfets les mettent en œuvre et nous en ferons ensemble le suivi. De même, nous avons la possibilité de prendre des mesures de rétention en vue de l'éloignement des demandeurs d'asile qui ne font pas leur demande à un guichet unique. Pourquoi n'est-elle pas utilisée systématiquement ?

Si vous passez par de nouvelles lois, vous aurez besoin du soutien des députés macronistes. Seront-ils tous d'accord pour les voter   ?

J'ai été nommé pour répondre à une aspiration majoritaire des Français : remettre de l'ordre, en matière de sécurité comme en matière d'immigration. Aujourd'hui, quelles que soient leurs sensibilités, y compris dans l'électorat LFI, les Français exigent majoritairement une reprise de contrôle. Il faut entendre ce message et y répondre, sans sectarisme, mais sans démagogie. Car je ne raconterai pas d'histoire aux Français. Je leur tiendrai un langage de vérité, comme l'a demandé le premier ministre. La seule chose qui compte pour moi, c'est d'obtenir des résultats. Car s'ils ne viennent pas, alors nous ouvrirons la porte aux démagogues et aux populistes.

Êtes-vous prêt à restaurer le délit de séjour irrégulier   ?

Il faut évidemment le rétablir. Quand quelqu'un pénètre chez vous, par une fenêtre, c'est un délit, mais quand un étranger pénètre par effraction sur le sol français, ce ne serait pas un délit ? Je considère que violer une frontière, c'est violer la loi. Par ailleurs, le rétablissement de ce délit donnera de nouveaux pouvoirs d'enquête à nos policiers et à nos gendarmes.

Ça ne risque pas de poser un problème, dans la mesure où ce serait contraire à une directive européenne   ?

La seule chose qui serait contraire au droit européen serait une peine d'emprisonnement. D'autres pays européens ont d'ailleurs mis en place le délit de séjour irrégulier. C'est d'ailleurs un point sur lequel nous sommes d'accord avec une majorité d'États européens dans le cadre de la révision de la directive Retour. Mais la remise à niveau de notre droit ne s'arrête pas là. Par exemple, les prises d'empreintes sous contraintes pour les irréguliers existent dans d'autres pays, mais pas en France. Même chose pour l'AME  : l'écrasante majorité de nos voisins n'offrent pas un tel panier de soins. Sur le regroupement familial, il est également possible de rehausser encore les durées de séjour, les conditions de ressources ou de logement décent. Globalement, en Europe, nous sommes moins exigeants ou mieux-disant suivant les cas que les autres. Ce que je demande, ce n'est rien de plus que de mettre la France au niveau de la moyenne des pays européens pour ne pas être plus attractif en raison du bénéfice de davantage de droits sociaux.

Qu'allez-vous faire pour diminuer l'immigration légale   ?

Pourquoi le gouvernement danois, dirigé par des sociaux-démocrates, a-t-il considérablement durci sa politique migratoire ? Parce que les Danois tiennent à l'État providence, ils ont compris qu'ils devaient faire un choix : préserver leur modèle social ou laisser les frontières ouvertes. Pour moi, une aide sociale n'est pas un dû : elle est le fruit des cotisations de ceux qui ont travaillé. Je reste favorable aux délais de carence sur les aides. Comme je suis partisan de subordonner la délivrance d'un titre de séjour à un étudiant au caractère réel et sérieux de ses études. Ces mesures ont été censurées, sur la forme, par le Conseil constitutionnel. Il faudra y revenir par une loi.

Et pour limiter le nombre d'immigrés par quotas   ?

Pour les quotas, il faut une révision de la Constitution. Dans le contexte actuel, il n'y a pas au parlement de majorité des 3/5e pour la faire adopter.

Reste le référendum…

Comme le disait le général de Gaulle, en France, la Cour suprême, c'est le peuple. L'immigration est sans doute le phénomène qui a le plus bouleversé la société française depuis un demi-siècle et pourtant, jamais les Français n'ont eu leur mot à dire sur cet enjeu vital. Prenez le regroupement familial, autorisé par un simple décret en 1976 : quand un gouvernement a voulu revenir dessus, le Conseil d'État a dit non. Il n'y a eu sur cette question fondamentale aucun vote des Français ni de leurs représentants. Je suis évidemment favorable à un référendum sur l'immigration mais cela nécessite, là aussi, une révision de notre Constitution, pour élargir les domaines référendaires.

Le Conseil d'État comme le Conseil constitutionnel doivent-ils prendre conscience davantage de cette demande et ne pas uniquement juger en fonction des principes généraux du droit   ?

La démocratie libérale, c'est à la fois l'État de droit et la souveraineté du peuple. Mais il ne faut pas confondre l'État de droit, qui fixe des grandes exigences en termes de liberté et de dignité, avec l'état du droit, qui varie selon les contextes, parce qu'ils doivent correspondre aux demandes des citoyens. C'est le principe même de la démocratie : élire des représentants pour qu'ils fassent la Loi ! Face aux désordres, il faut trouver le bon point d'équilibre entre la protection des libertés individuelles et la protection de la société. Quand la CEDH nous interdit d'expulser des Tchétchènes qui avaient commis des crimes de sang, alors le curseur n'est plus au bon endroit puisqu'on protège davantage les droits des individus dangereux que ceux des victimes.

Sur la sécurité, vous voulez «rétablir l'ordre». Comment comptez-vous vous y prendre   ?

D'abord en parlant clair. Certains expliquent qu'il n'y aurait qu'un « sentiment d'insécurité ». Aujourd'hui, les chiffres montrent le contraire. La France connaît un véritable ensauvagement. Toutes les vingt minutes, il y a un refus d'obtempérer. Toutes les heures, une attaque avec arme. Et tous les jours, un millier d'agressions. Derrière ces froides statistiques, il y a des corps brisés, des existences mutilées et des vies volées. L'État doit aux citoyens une juste fermeté car s'il ne le fait pas, il se rend complice.

Oui, mais comment   ?

D'abord en apportant un soutien indéfectible aux forces de l'ordre. Sur ce point, mon prédécesseur, Gérald Darmanin, s'est toujours tenu à leurs côtés. Pour cela, je lui rends hommage et je veux dire à nos policiers, nos gendarmes, nos pompiers, que pour eux je ne tolèrerai rien : aucune offense, aucune atteinte ni à leur intégrité physique ni à leur intégrité morale. Ceux qui, par des discours irresponsables, placent une cible dans le dos de nos forces de l'ordre me trouveront sur leur route.

Vous êtes donc favorable à la mise en place de la présomption d'innocence pour les policiers   ?

J'y suis favorable, mais il faut étudier les conditions juridiques. Tirons également les leçons des Jeux olympiques. Car la visibilité des forces de l'ordre a eu un véritable impact. Enfin, l'une de mes priorités sera la lutte contre le narcotrafic qui est à l'origine de multiples crimes et délits, et qui représente aujourd'hui entre 3 et 6 milliards d'euros. Nous ne pouvons pas avoir, dans certains quartiers, de petits « narco-États ».

Continuerez-vous les opérations «places nettes XXL»   ?

J'attends un retour d'expérience sur ces opérations. Une chose est sûre : nous obtenons de meilleurs résultats quand il existe une étroite coopération entre les forces de l'ordre, les magistrats et les douanes. Mais ce n'est pas suffisant. J'avais moi-même diligenté une commission d'enquête au Sénat sur le narcotrafic, présidée par un sénateur socialiste, Jérôme Durain, et dont le rapporteur était le sénateur LR Étienne Blanc. C'est la preuve que nous pouvons aborder ces questions de manière transpartisane. Je suis persuadé qu'il existe une majorité pour adopter de nouvelles mesures, pour mieux protéger les indics, accorder un statut aux repentis, systématiser les enquêtes de patrimoine et la saisie des biens également. Car je vous rappelle qu'Al Capone est tombé sur une enquête fiscale…

Rétablir la sécurité passe aussi par la justice…

Je ne veux pas déborder de mon champ de compétence. Mais si nous voulons obtenir collectivement des résultats, il faut une réponse pénale très ferme. Car il ne sert à rien d'interpeller les délinquants si le délit n'est pas sévèrement puni. C'est aussi ce que nous demandent les forces de l'ordre. Mon premier déplacement, je l'ai fait au commissariat de La Courneuve où j'ai rencontré et vu un policier, pris à partie par un mineur, qui a eu la main brisée et 42 jours d'ITT. Ce mineur avait 33 antécédents, dont l'un de vol avec acte de torture. Il n'a pas écopé d'une seule journée de prison. Est-ce normal ? J'aurai, très régulièrement, des réunions avec le Garde des Sceaux, Didier Migaud.

Après la mort de Philippine, il s'est dit ouvert à examiner des évolutions de notre arsenal législatif. Je m'en félicite. Ces évolutions sont nécessaires. Car les alternatives à la prison, privilégiées depuis des années, ne marchent pas : non seulement la sanction ne dissuade plus mais la surpopulation carcérale ne cesse d'augmenter. En réalité, on incarcère trop tard. Les Pays-Bas ont fait le choix inverse, avec de courtes peines de prison dès les premiers délits graves. L'effet, dissuasif, permet de briser les parcours délinquants, et donc de diminuer la population carcérale. C'est une réussite dont nous devons nous inspirer, comme l'a souhaité le premier ministre lors de sa déclaration de politique générale.

Êtes-vous favorable à la suppression de l'excuse de minorité, au retour des peines planchers   ?

J'ai quelques idées sur ces sujets, mais ce n'est pas à moi qu'il revient de faire la politique pénale. Je pense qu'il faut redonner du sens à la sanction, et pour cela qu'elle soit certaine et rapide.

Comment comptez-vous lutter contre l'islam politique   ?

Il faut mener une guerre totale au totalitarisme islamiste et pour cela, agir dans deux directions. La première, c'est de conforter nos moyens sécuritaires, notamment pour mieux suivre les islamistes sortant de prison qui arrivent en fin de peine. Je veux d'ailleurs rendre hommage à nos services anti-terroristes qui, régulièrement, déjouent des attentats, sauvent des vies. Le second enjeu, c'est de reconstruire nos défenses immunitaires, c'est-à-dire de réaffirmer nos valeurs, nos principes. Pas d'accommodements déraisonnables. Ensuite nous devons passer d'une lutte contre le séparatisme vers une lutte contre l'islam politique, en particulier contre le frérisme. Notre laïcité n'est pas négociable, et nos lois non plus : les Français peuvent être sûrs que pour fermer des mosquées islamistes, expulser des prêcheurs de haine ou dissoudre des groupes séparatistes, ma main ne tremblera pas. Nous devons avoir cette fermeté, et d'abord pour nos compatriotes musulmans dont la foi est défigurée par l'islamisme.

Aurez-vous le soutien du président de la République   ?

Nous sommes dans une situation totalement inédite. Elle nous oblige les uns et les autres. Comme gaulliste, je suis respectueux de la fonction présidentielle. Mais je suis également attaché à notre Constitution qui affirme, dans son article 20, que le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Chacun doit donc être dans son rôle même si, naturellement, il faut du dialogue, du respect, de la coopération, notamment sur les questions internationales où le président de la République a un rôle clé. Dans ce moment de tous les dangers, nous devons collectivement incarner l'union des bonnes volontés. Ma seule obsession, c'est d'être utile à la France, d'obtenir des résultats pour les Français. C'est, pour moi, la seule chose qui compte.




par Le Figaro avec AFP 1 octobre 2024

«L'immigration n'est pas une chance», «l’État de droit n’est pas intangible» : Retailleau s’attire les critiques de la gauche et de macronistes

"Bruno Retailleau persiste et signe. Interrogé sur de précédents propos dans lesquels il jugeait qu'une «société multiculturelle» était une «impasse» et «conflictuelle» , le nouveau ministre LR a estimé sur LCI dimanche soir «qu'une société multiculturelle comporte des risques de devenir aussi une société multiraciste». «Je pèse mes mots» , a-t-il lancé sur la chaîne d’information."

A lire dans le Figaro :
 



par Mathieu Bock-Côté dans FigaroVox 21 septembre 2024

Une analyse sans concession de Mathieu Bock-Côté sur la composition en cours du gouvernement Barnier :

CHRONIQUE - Le gouvernement de Michel Barnier devrait être une version remaniée de l’ancien, sans que ne s’y greffent des éléments trop «conservateurs». Une classe politique en fin de parcours qui parvient, encore, à se maintenir aux affaires.

En l’espace de quelques jours, la droite qui se croyait de retour au pouvoir, a compris qu’elle ne l’était pas vraiment. Certes, Michel Barnier semble installé à Matignon. Mais il n’a pu former son gouvernement qu’en deux temps, et multiplier les contorsions pour y parvenir, l’Élysée, d’abord, et les résidus parlementaires du bloc central, ensuite, jugeant sa première proposition trop LR. Michel Barnier n’avait finalement pas les mains libres. Le nouveau gouvernement sera, pour l’essentiel, une version remaniée de l’ancien, sans que ne s’y greffent des éléments trop « conservateurs ». Le gouvernement Barnier se présente moins comme un recours pour réparer et réunifier autant qu’il le peut un pays politiquement fragmenté qu’à la manière du dernier spasme d’un régime agonisant, et qui sait l’être.

C’est une classe politique en fin de parcours qui se révèle, et nous oblige à revenir à 2017, au moment du premier macronisme, triomphant. On se souvient peut-être, à moins qu’on ne se souvienne plus, que le macronisme est moins né d’un élan populaire que d’une ruse élitaire, qui a vu une caste liquider le président sortant et exécuter celui qui était appelé à lui succéder, par une manœuvre juridico-médiatique relevant du coup de force maquillé en sursaut éthique. Il fallait empêcher le candidat d’une droite décomplexée d’arriver au pouvoir. L’oligarchie qui coopta alors Emmanuel Macron réussit un coup de maître : un système agonisant se ripolinait la façade en lui donnant un coup de jeune. Une classe politique venait de se sauver en criant révolution.

Macron, un président claudicant dès les premiers jours

Mais bien qu’on continue de le nier aujourd’hui, Emmanuel Macron fut un président claudicant dès les premiers jours. D’abord parce qu’au deuxième tour de 2017, il fut moins porté par une majorité d’adhésion que par le carnaval de l’antifascisme involontairement parodique. Le front républicain se voulait déjà de retour. Il s’accompagne toutefois toujours d’une forme de légitimité négative : il conduit moins au pouvoir des hommes et un programme qu’il n’a pour fonction d’empêcher à tout prix une force politique médiatiquement disqualifiée d’y parvenir. Cette légitimité n’est pas une d’adhésion, et on ne peut pas vraiment s’appuyer sur elle pour engager une grande transformation politique. La procédure démocratique est sauve, l’esprit démocratique n’est plus là.

Des élites usées mais s’accrochant rageusement à leurs privilèges et redoutant une insurrection populaire, qu’elles materont à tout prix, ont privatisé la république.

D’ailleurs, la crise n’allait pas tarder, avec la révolte des «gilets jaunes », authentique mobilisation populaire, avant son détournement par l’ultragauche. Les profondeurs du pays larguées par le nouvel élan mondialiste et européiste se révoltaient. Emmanuel Macron fera par ailleurs tout en son pouvoir pour installer durablement un clivage entre le bloc central et les nationalistes – avant de le retraduire en un affrontement entre les républicains et les extrêmes. Il s’agissait de disqualifier toute forme d’alternance ou d’alternative véritable, en fédérant tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, tirent avantage de ce qu’est devenu l’ordre établi, et de faire peur aux autres en leur parlant du grand retour de la bête immonde – ou de les intimider en leur promettant la mauvaise réputation s’ils ne répétaient pas les bons slogans.

La même séquence s’est produite en 2022. On oublie, aujourd’hui, l’enthousiasme des voix les plus importantes du système quand se répandit la rumeur voulant que ni Le Pen, ni Mélenchon, ni Zemmour, qui totalisaient alors entre 45 % et 50 % d’appuis, n’obtiendraient leurs signatures pour participer à la présidentielle, parce qu’ils ne seraient pas « républicains ». Comprenaient-elles, alors, qu’elles décrétaient la moitié des Français factieux ? La même histoire s’est reproduite en 2024 au moment des législatives, le système électoral étant cette fois détourné par une grossière manœuvre pour produire des résultats contraires aux préférences populaires. La légitimité négative arrivait alors à son point culminant. La France est devenue politiquement ingouvernable avec une classe politique concassée, qui ne parvient plus à dissimuler sa médiocrité.

En 2017, comme en 2022 puis en 2024, les Français furent privés d’un véritable exercice démocratique. Des élites usées, mais s’accrochant rageusement à leurs privilèges et redoutant une insurrection populaire, qu’elles materont à tout prix, ont privatisé la république. On appelle désormais cela l’État de droit. Le peuple vote mal, se rend coupable de populisme, et n’est plus pour cela le bienvenu en démocratie. Il le sera à nouveau quand il se sera calmé, rééduqué ou submergé. Entre-temps, le système politique tourne en rond, incapable désormais d’engendrer un gouvernement qui tiendra, qui saura vraiment piloter le pays, alors qu’il est confronté, avec la crise migratoire et l’insécurité généralisée, à sa plus grave crise depuis la guerre d’Algérie. C’est ce qu’on appelle une crise de régime.



par Eric Ciotti 28 juillet 2024

Dans un courrier envoyé ce lundi (voir ci dessous), le président contesté des LR appelle ses adhérents à choisir entre «l'intégration des LR dans le camp macroniste» ou «l'alliance des droites dans l'indépendance⁠».Les adhérents vont donc être appelés à décider de la ligne politique des Républicains.

 

 

"Chers compagnons,

Notre pays traverse une crise politique majeure. L’inconséquence et l’impuissance du Président Macron ont précipité la France dans le chaos.

Dans cette tempête institutionnelle inédite, j’ai pris mes responsabilités en toute transparence pour enrayer le déclin national.

Depuis le 11 juin, je vous ai parlé en vérité. Oui, j’ai voulu une alliance claire à droite, pour que la France soit gouvernée à droite. C’est pour cela que j’ai voulu que nous participions à une grande coalition électorale de tous ceux qui se retrouvent dans la défense des idées nationales.

Pourquoi la gauche pourrait-elle s’unir avec les Insoumis, qui représentent le pire danger pour la République, mais les droites ne pourraient pas se rassembler, comme elles le font partout en Europe ? J’ai voulu dénoncer ce paradoxe et briser ce tabou.

J’assume ce choix qui m'a valu des attaques d’une violence inouïe. J’assume de vouloir préserver notre indépendance tout en nouant des accords à droite pour gagner. Ceux qui vous disent que nous pouvons gagner seuls vous trompent et nouent une alliance avec les macronistes fossoyeurs de notre pays.

Je mesure chaque jour un peu plus l’adhésion majoritaire et le nombre croissant de militants qui rejoignent ma démarche. Je sais qu’elle a pu surprendre certains de vous. Je sais aussi que d’autres n’y ont pas adhéré. Je respecte naturellement ces positions. Mais je veux dire à ceux qui doutent que les événements nous donnent raison.

Aujourd’hui les masques sont tombés ! Les dirigeants des Républicains qui ont le plus violemment critiqué l’union des droites, faite dans la clarté et devant les Français, ont noué dans l’obscurité une alliance avec la macronie.

Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand et leurs amis bâtissent aujourd’hui une alliance officielle avec Emmanuel Macron.

Vous avez été dupés par une manœuvre insincère et hypocrite. Au premier tour des législatives, plus de 50% de leurs candidats n’avaient pas de candidats macronistes contre eux.

Pire, au second tour, ils ont conclu d’indécentes alliances avec la gauche et l’extrême-gauche, et participé à la coalition des contraires construite par Emmanuel Macron et Mélenchon pour entraver l’expression du peuple !

Plus de 50% de leurs candidats ont bénéficié d’un désistement de la gauche et de l’extrême gauche. Ils ont même soutenu le communiste Stéphane Jumel et l’Insoumis François Ruffin.

Ils ont choisi le macronisme et la gauche contre le peuple, ils se sont unis pour faire perdre la droite.

Ils ont poursuivi leur stratégie en négociant des postes et des places à l’Assemblée nationale avec Emmanuel Macron, recevant ainsi la rançon de leurs compromissions en se partageant le butin électoral.

À travers ces accords de la honte, ils s’inscrivent dans la majorité présidentielle et méprisent les 11 millions de Français qui ont voté pour l’union des droites.

Les mêmes proposent aujourd’hui un Pacte législatif qui accouchera d'une coalition avec le macronisme ou sera condamné à n'être que communication. Une marche de plus pour devenir les supplétifs d’Emmanuel Macron, et continuer le partage des postes et des places en préparant le gouvernement. Ils prétendent lutter contre l'extrême gauche qu'ils ont participé à faire élire et dont ils ont bénéficié des voix au second tour. Ils ont collaboré avec la gauche dans les urnes et combattu la droite.

Ces choix marquent une trahison majeure et inédite. Une rupture. Vous avez été trompés et trahis. C’est toute la droite qui a été bafouée par ces basses manœuvres.

Moi, je ne pactise pas avec ceux qui ont tant abîmé notre pays. Le macronisme c’est une France à terre. Une faillite budgétaire, l’explosion de la violence, le chaos migratoire, le déclassement des ménages, la perte d’influence européenne et internationale.

Comment peut-on donner du crédit à ce pouvoir, qui a tant abaissé la France, et oser s’allier avec lui ? C’est non seulement trahir la droite mais surtout trahir la France.

Plus que jamais, j’ai besoin de vous pour faire triompher notre démarche d’union des droites. J’appelle donc tous les militants des Républicains à se lever et à agir. Je connais votre loyauté à notre famille, et je sais que vous détestez ces trahisons.

Je vous propose la seule ligne possible : une ligne droite. Je vous invite pour cela à me suivre et à vous rassembler, en nous retrouvant à l’occasion de notre grande rentrée politique, le 31 août, à Levens, dans les Alpes-Maritimes.

Je suis et je reste président des Républicains, élu par vos suffrages en 2022. Ma légitimité je ne la tiens que de vous. Pour effacer la trahison des chapeaux à plume, je m’en remets aujourd’hui, comme je l’ai toujours annoncé, au choix souverain des militants.

Je vous annonce que je vous consulterai à travers un vote dans les prochaines semaines sur un choix clair entre deux lignes opposées.

Soit la dissolution des Républicains dans le camp macroniste qui se dessine aujourd’hui, avec Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand.

Soit le rassemblement des droites que j’ai initié pour relever la France, en gardant notre indépendance et nos valeurs.

Je veux mener ce combat au sein de notre famille politique, ensemble. Aucune alternative n’est possible. Je vous propose une ligne de courage, de responsabilité et d’indépendance, pour ouvrir, à droite, une voie d’espérance.

Je m’engage avec vous à défendre une droite forte, au service de la France du travail par la débureaucratisation, la diminution des normes, la baisse de la fiscalité et la hausse des salaires. Une droite garante de l’équilibre des comptes publics par la baisse des dépenses publiques, une droite favorable à la liberté économique et d’entreprise, gage de prospérité pour tous. Une droite garante de l'identité et de la sécurité.

Ne soyons ni les béquilles, ni les supplétifs de Monsieur Macron. Bâtissons la victoire de la droite dans l’indépendance et le courage de l’union !

N’ayez pas peur ! Levez-vous. Ne baissez plus les yeux. Brisez les chaînes du politiquement correct et refusez la soumission au macronisme.

Rassemblés, nous pouvons sauver la France du déclin et faire refleurir l’avenir de notre grande nation.

Avec l’assurance de toute ma détermination.

Fidèlement,

Éric Ciotti

Président des Républicains"











par Natacha Gray 24 juillet 2024

Une (longue) tribune d'une de nos plus fidèles adhérentes !


La vérité sur les élections au Royaume Uni

Les leçons à tirer, pour la droite française.


En dépit des apparences, il y a beaucoup de points communs entre nos deux pays de part et d’autre de la Manche. Et pas simplement dans le contexte des récentes élections législatives anticipées, décidées par le Président de la République en France, par le chef du gouvernement au Royaume Uni, mais par la victoire en sièges (mais minoritaire en voix) des gauches françaises et britanniques, l’effondrement (en sièges et en voix) du parti conservateur et la progression inexorable et révélatrice d’un troisième bloc qualifié naturellement d’extrême-droite (far-right) par ses adversaires et par les médias mainstream mais qui se définit comme le vrai conservatisme, fondé sur des valeurs et objectifs abandonnés par ceux qui, au pouvoir depuis 14 ans, étaient censés les promouvoir.

Par idéologie, incompétence ou ignorance, ou peut-être tout simplement par indifférence à ce qui se passe au-delà de nos frontières, nos médias se sont contentés d’annoncer l’écrasante victoire de la gauche britannique en se focalisant sur le nombre de sièges obtenus. Les enseignements sont infiniment plus complexes que cela et, de l’autre côté du Channel, on insiste plutôt aujourd’hui sur l’inadéquation entre un système électoral dépassé (1) qui voit la gauche triompher bien au-delà de ce qu’elle représente dans le pays réel où elle reste minoritaire (2), sur les raisons de l’effondrement de l’ancien grand parti conservateur (3) mais surtout l’extraordinaire progression d’autres droites, et notamment celle de Reform.uk (4), qui entre au Parlement, et de celui qui apparaît comme son nouveau leader, Nigel Farage, le chef de file des forces du Brexit qui a récupéré en quelques semaines de campagne une partie des voix ayant déserté les Tories. Précisons que le reste de ces voix conservatrices déçues se répartissent moins sur quelques votes de rétorsion à gauche que sur une abstention sans précédent depuis les années 1880 ou sur d’autres petites forces de droite et du centre comme les Libéraux Démocrates, LibDem.

La situation en France nous étant bien mieux connue, cette analyse se concentrera sur la situation britannique que le lecteur pourra comparer par lui-même avec le paysage politique post-électoral français. Il y a d’importantes leçons à en tirer pour la droite, ou les droites, française(s) en particulier, les droites européennes en général.


1. Dissolution et système électoral

En France comme au Royaume Uni les citoyens ont dû se rendre en effet dans les bureaux de vote pour des élections anticipées que personne n’attendait. Les élections à la Chambre des communes devaient avoir lieu cet automne mais le Premier Ministre Rishi Sunak a pris tout le monde de court (comme le président français) en dissolvant l’Assemblée le 30 mai dernier, espérant peut-être conforter sa majorité alors que son gouvernement, très critiqué, bénéficiait toujours d’une majorité absolue à Westminster ! Ces élections majoritaires à un tour ont eu lieu le 4 juillet dernier. Comme en France, pris de court, les partis, et notamment les petits et moyens, ont dû dans l’urgence élaborer un programme et surtout trouver des candidats présentables. Ainsi le parti Reform a-t-il été accusé, à tort, de présenter des candidats qui n’existaient pas car, tenant à être présent dans 609 constituencies (circonscriptions électorales) sur 650 (car il y a eu quelques rares accord pour ne pas défavoriser un autre candidat de droite), ce qui permet de compter ses soutiens en voix, nombre de ceux qui ont été trouvés dans l’urgence n’avaient aucun passé politique, aucune visibilité numérique, aucun site de campagne. Le même parti a même été contraint de retirer son investiture à des candidats dénichés à la va-vite et qui se sont avérés coupables, dans la présente campagne ou par le passé, de propos racistes. Comme Le RN en France.

Le système électoral est différent du nôtre mais présente le même type d’aberration, il ne rend absolument plus compte de la réalité des votes dans le pays et ne peut que susciter frustrations et mécontentement. C’est un scrutin uninominal majoritaire à un tour, appelé aussi FPTP ou FPP, c’est-à-dire First-past-the-post, en clair « le premier qui passe le poteau (la ligne d’arrivée) » a gagné. Il présente un certain nombre d’avantages, d’abord financièrement (un seul tour à organiser), pas de tractations contre-nature entre deux tours comme dans le mode de scrutin français, et une interprétation très simple des résultats. En outre il convenait plutôt bien à la situation politique qui prévalait encore au siècle dernier, c’est-à-dire un bipartisme net entre une droite conservatrice (les Tories) et une gauche travailliste (Labour) qui alternaient au pouvoir régulièrement.


Mais aujourd’hui, si la gauche reste globalement uniforme malgré le cavalier seul des Verts, la droite a éclaté en une multitude de tendances rivales. L’inconvénient est que le candidat qui a obtenu le plus de voix, qui remporte donc l’élection immédiatement à la majorité relative, peut être très minoritaire dans sa circonscription, par exemple (et le cas s’est présenté maintes fois cette fois-ci) si tous les autres candidats sont dans l’opposition. Le Labour rassemble en effet toutes les gauches, de la vieille gauche patriote à la gauche wokiste, internationaliste, indigéniste, antisémite et immigrationniste, en passant par des écologistes les plus radicaux, même si le parti des Greens (les Verts) envoie aussi des candidats séparément. En face l’opposition de droite des Tories (LR en quelque sorte), LibDem (un centre droit que l’on pourrait comparer au MoDem) et Reform (la droite nationale) sont allés à l’élection en ordre dispersé. Le résultat est qu’ils sont dans le pays toujours majoritaires en voix mais que le Labour a remporté la majorité absolue des sièges.


Le décalage entre nombre de voix pour la droite, majoritaire comme en France, et nombre de sièges obtenus est encore plus spectaculaire que chez nous : Avec 33,69% des voix les travaillistes (Labour) ont obtenu 411 sièges à la Chambre des communes, soit 176 sièges de plus que la majorité absolue, raison pour laquelle les médias nous présentent cette victoire comme écrasante, omettant de décrire une situation beaucoup plus complexe. On peut y ajouter les 6,74% des Verts, soit 4 sièges. Les droites réunies représentent 23,70% pour les Conservateurs (121 sièges), 12,22%, soit 72 sièges pour le Centre droit (LibDem) et 14,22%, soit 5 sièges pour la droite de Reform (qui se veulent les vrais conservateurs). Ainsi la gauche (Labour + Green) représente-t-elle 40,43% des électeurs s’étant exprimé et la droite 50,14%. Le reste se partageant entre le parti indépendantiste écossais (SNP, 2,52%) et des partis « autres » en inquiétante progression, car il s’agit la plupart du temps de partis communautaristes représentant l’islam radical.

Notons donc pour commencer quelques aberrations : Reform qui a obtenu plus de 14% des voix n’a que 5 sièges alors que LibDem, avec à peine plus de 12% en remporte 72 ! Et la droite avec plus de 50% des voix n’obtient que 198 sièges contre 415 pour la gauche.

On peut aussi exprimer cette injustice, puisque le système électoral ne représente plus le pays réel, en convertissant ces résultats en nombre de voix nécessaires pour obtenir un siège à Westminster :

1 député Labour : 23 405 votes

1 LibDem : 49 504 votes

1 Conservative/ 57 285 votes

1 SNP : 83 279 votes

1 Green 476 730

1 Reform : 1 000 912 votes.

On comprend que dans ces circonstances, de plus en plus de voix s’élèvent au Royaume Uni pour demander la fin du FPTP et l’instauration d’un système proportionnel.


2. La gauche travailliste (Labour) est loin d’avoir gagné

La gauche de Keir Starmer a gagné largement en termes de sièges, la plus large victoire depuis 1997 avec une majorité absolue de 176 sièges, mais avec moins de 34% du vote national, elle obtient moins que Jeremy Corbyn en 2017 et moins que Tony Blair à chaque fois.


En clair le Labour a remporté l’élection non pas en raison de nouveaux électeurs mais grâce à une abstention spectaculaire à droite, la pire depuis … 1880 ! Car, comme en France, alors que la droite s’abstient devant des candidats qui ne la satisfont pas entièrement, la gauche se mobilise. En voix la gauche a stagné en Angleterre (+ 0,6%), a fortement décliné au Pays de Galles (où elle est représentée au pouvoir par la nouvelle gauche woke mettant en pratique dans de nouvelles lois discriminatoires, son racisme anti-Blancs, son obsession racialiste et les théories du genre). Elle n’a clairement augmenté (+20% en sièges) qu’en Ecosse mais cela était prévu par tous les observateurs, car elle y a pris la place (et une grande partie des sièges) du SNP, le parti national écossais, indépendantiste, largement discrédité aujourd’hui par la politique wokiste de Nicola Sturgeon (qui y a perdu sa place de Premier Ministre) et de son successeur Humza Yousaf (remplacé depuis mai par John Swinney) et des scandales financiers à répétition touchant le parti et son équipe dirigeante.


Cette gauche largement majoritaire en siège va néanmoins vers d’importantes difficultés futures : moins parce qu’elle ne représente pas le pays réel car son opposition de droite, comme en France, n’est pas connue pour fomenter blocages, émeutes, refus d’obéir ; mais parce qu’elle est, comme le Nouveau Front Populaire, constituée de gauches inconciliables, d’une extrême gauche puissante jusqu’aux socio-démocrates. Nos médias vantent, à tort, la métamorphose des Travaillistes. Mais quelle métamorphose ? Certes ils ont éliminé aujourd’hui les plus antisémites de leurs leaders comme Jéremy Corbyn. Mais cette gauche a constamment soutenu l’immigration sans frontières et les affirmations communautaristes religieuses, toléré les pratiques chariatiques, encouragé les blocages de Londres et d’autres grandes villes britanniques chaque samedi depuis le 7 octobre par des foules pro-palestiniennes et même pro-Hamas, hurlant des slogans antisémites, arrachant les drapeaux britanniques des monuments officiels pour y accrocher ceux de Daesh et de la Palestine, histoire comme en France de se constituer un nouvel électorat. Et, comme en France, elle diabolise les opposants et qualifie toute protestation de « raciste » et « islamophobe ». Mais, comme signalé plus haut, le retour de bâton est qu’elle a perdu un certain nombre de circonscriptions qui lui étaient acquises au profit de ses anciens protégés qui ont présenté des candidats communautaristes indépendants (comme Corbyn qui a rejoint un parti pro-Gaza) dans des circonscriptions à majorité musulmane et ont obtenu 15 sièges à l’Assemblée. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Ainsi dans ce « nouveau » parti travailliste, la vieille gauche (old left) est-elle réduite à l’état de survivante, l’essentiel des nouvelles troupes alliant des tendances communautaristes, les écologistes radicaux, les wokistes le plus débridés au point que l’on a vu Keir Starmer, le nouveau PM, répondre gêné à un journaliste lui demandant de définir « what a woman is » et si une femme pouvait avoir un pénis : « oui, enfin la majorité des femmes non mais quelques-unes oui » pour ne pas s’aliéner sa majorité wokiste dont le cheval de bataille est la transidentité. Alors oui, s’il y a eu métamorphose, c’est que cette gauche, par conviction ou stratégie, a totalement absorbé les revendications wokistes, racialistes, communautaristes.

C’est ainsi qu’une des premières mesures des Travaillistes désormais au gouvernement a été d’annuler le Plan Rwanda (qui consistait, comme d’autres pays le font, de faire examiner par ce pays tiers toutes les demandes d’asile avant acceptation, ou non, sur le sol britannique, donc d’y expédier tout migrant clandestin arrivant sur les côtes par les small boats) ; puis d’inventer une nouvelle taxe (sur les véhicules électriques, ce qui va le mettre en porte à faux avec sa branche écologiste) et de donner des gages à sa majorité wokiste en réintroduisant dans les programmes scolaires dès l’école primaire les leçons sur les identités de genre que le gouvernement conservateur, sur la pression populaire, venait de limiter pour les mineurs.

Donc des mesures à l’encontre de ce à quoi aspirent, selon tous les sondages et le succès d’immenses rassemblement patriotes pacifiques (le prochain est le 27 juillet), une immense majorité de Britanniques. Ainsi, si la gauche a gagné, ce n’est pas pour elle-même, mais parce que la droite des Tories s’est effondrée.



3. La droite conservatrice « officielle » des Tories s’est effondrée


Comment le parti conservateur, qui avait bénéficié d’une victoire historique en 2019, avec 80 sièges de majorité, a-t-il pu subir un tel désastre électoral 5 ans plus tard ?  Comme on l’a vu en première partie, la droite reste majoritaire en voix dans le pays mais le parti qui l’avait toujours incarnée, les Tories ou Conservatives, ont obtenu le pire résultat de leur histoire. Le grand parti disparaît, au profit de partis périphériques. Les chiffres sont éloquents, les Tories ont perdu 190 sièges.

Ce n’est pas une surprise, car cette droite est constamment accusée d’avoir trahi ses promesses, son programme, c’est-à-dire les fondamentaux d’un parti de droite, depuis des années mais plus encore depuis l’arrivée de Rishi Sunak au poste de Premier Ministre (non élu mais désigné en interne après vote des adhérents pour remplacer Liz Truss, démissionnaire, elle-même remplaçant Boris Johnson, démissionnaire). En effet, à de rares exceptions près (Liz Truss pendant pendant un mois et 19 jours où elle fut en poste au 10 Downing Street ; et quelques récentes mesures du gouvernement Sunak, trop tardives contre les théories du genre et la propagande des activistes trans à l’école), cette droite a échoué à contrôler les frontières et à faire baisser l’immigration, à prendre des mesures contre l’insécurité, à faire baisser les taxes et le poids de l’Etat. Parallèlement, avec un pouvoir d’achat en berne, face à la crise de l’énergie, une pression fiscale accrue, les Britanniques ont constaté l’effondrement de la qualité et de l’efficacité de leurs services publics, notamment de santé (la NHS : National Health Service). Les conservateurs ont échoué à combattre le wokisme dans les médias, dans les services publics et dans l’Education, et ont laissé s’installer les théories du genre et la sexualisation précoce des enfants à l’école. Pire, soumis aux accusations de la Gauche, de peur de sembler raciste, islamophobe, transphobe, ils ont soutenu les activistes et diabolisé (voire exclu des rangs des Tories) au Parlement les députés qui pointaient ces promesses non tenues, ces trahisons répétées en rupture avec le programme initial, les dangers identitaires et les attentes de la population. Sunak a même fini par renvoyer le ministre de l’Intérieur, une vrai conservatrice, Suella Braveman, initiatrice du Plan Rwanda, parce qu’elle demandait la sortie du Royaume Uni de l’ECHR (la CEDH, la Cour Européenne des Droits de l’Homme), responsable de la plupart des blocages dans la lutte contre l’immigration illégale.


Mais pour quelles raisons cette droite conservatrice a-t-elle gouverné dans l’oubli total des promesses qui l’avaient portée au pouvoir, au point qu’une expression circule qualifiant Labour et Tories de two cheeks or the same arse (les deux fesses d’un même postérieur). Certes, au pouvoir pendant les confinements à répétition (Lockdowns), elle a mécontenté une grande partie de son électorat libéral, et cela d’autant plus que plusieurs scandales (certes artificiellement amplifiés par les médias dominants, dont la BBC, soutiens indéfectibles et partiaux de la gauche) ont montré que ses leaders ne s’appliquaient pas les mêmes restrictions (Party Gate). Mais l’essentiel est ailleurs, une soumission aux préconisations du Forum Economique Mondial (WEF) qui l’a rendue plus globaliste que préoccupée par les intérêts nationaux, une incapacité totale à régler les problèmes liés à l’immigration (question qui était pourtant au cœur du vote pro-Brexit) en raison de son refus de sortir de la CEDH, une sorte de complexe face à une gauche braillarde et accusatrice de peur de sembler raciste, islamophobe, transphobe et de susciter des mouvements de foule qu’elle ne saurait contrôler.


Mais on doit aussi s’interroger sur les démisions successives qui l’ont fragilisée et discréditée : tous ceux qui ont tenté d’être de vrais conservateurs parmi les Premiers Ministres, les Ministres et députés) ont été poussés vers la sortie par des scandales orchestrés par l’ensemble des médias suivis par les réseaux, campagnes de calomnies, d’accusations diverses, d’indignations portées par des meutes numériques, menant à la « cancellation » (l’annulation, la disparition de la scène publique) notamment autour des chaînes de désinformation publiques comme la BBC à côté de laquelle France Inter semblerait presque un média d’extrême-droite ! J’exagère à peine. La cancel culture (ou culture du bâillon) est véritablement un fléau outre-Manche et tous les médias publics sont de gauche. Quant aux médias privés, ils sont sous la coupe d’un régulateur nommé OfCom (l’équivalent de notre ArCom mais en encore plus hémiplégique), ce qui réduit les chaînes véritablement conservatrices, opposées à cette idéologie internationaliste et woke incarnée à la fois par le Labour et les Tories, à se montrer dans une opposition très contrôlée. L’OfCom veille et sévit (amendes, demande du retrait de l’antenne de journalistes trop disruptifs par rapport au narratif officiel). GBNews, la petite sœur de CNews, en sait quelque chose et s’est beaucoup « assagie » à force d’amendes menaçant sa survie et de mises en garde de la part du régulateur que la droite appelle parfois « l’OfCommunist ». A côté la BBC et d’autres peuvent désinformer, mentir, insulter, laisser des journalistes ou invités racialistes cracher leur racisme anti-Blancs (race-baiting : obsession de la race, culpabilisation de l’Occidental, victimisation), leur soutien aux émeutes, et même les appels à assassinat (sur Trump) en toute tranquillité. L’OfCom est borgne et ne tape que sur la droite. Et la droite n’a pas trouvé la force, ou suffisamment de conviction, ou tout simplement de courage pour s’affirmer envers et contre tout. Il est vrai que les droites, quelles qu’elles soient, partent avec un handicap qui est aussi à leur honneur : les gens de droite ne dénoncent pas, ne se vautrent pas dans le djihad judiciaire, ne font pas de liste de déviants à éliminer, ne hurlent pas en meute contre un opposant qui les contredit, ne menacent pas de bloquer le pays ou les institutions. Mais elle s’est soumise à l’idéologie dominante et s’est contentée, au mieux, de reconnaître des problèmes et de promettre de tenter d’y remédier enfin. L’attitude de Rishi Sunak après la défaite est révélatrice, il ne cesse de s’excuser (I apologise), envers son parti, envers le pays, de n’avoir pas fait ceci ni cela.


4. La montée extraordinaire et inattendue du parti Reform.UK


Alors où sont passées les voix de droite qui ne se sont pas réfugiées dans l’abstention ? Une minorité s’est tournée vers le centre droit, les Libéraux-Démocrates, ou Lib-Dem. Beaucoup, on l’a dit, se sont réfugiés dans l’abstention. Mais la surprise est venue de la progression spectaculaire d’un petit parti sans députés, Reform.uk, qui a attiré l’essentiel des électeurs de droite qui se sont exprimés. L’ancien leader du Brexit Party, Nigel Farage, retiré de la politique et devenu depuis présentateur d’une émission à succès sur GBNews, s’est relancé contre toute attente dans la bataille des urnes qu’il annonçait quelques semaines auparavant ne plus vouloir mener pour lui-même. C’est ainsi que les Tories ont perdu 180 sièges à cause de Reform que les électeurs ont préféré, ce qui a divisé les votes de droite et conduit à la victoire de la gauche. A noter que d’autres micro-partis, comme The Reclaim Party, n’ont pas présenté de candidat et se sont ralliés explicitement à Reform. Comme dit son leader Laurence Fox : « peu importe qui se voit attribuer le mérite (take the credit), l’important est le résultat et que nos idées progressent ».


Reform était un petit parti conservateur sans député, il a augmenté en moins d’un mois de campagne, avec l’arrivée de Farage, de 13 points ! Il est passé de 0 à 5 sièges (dont un pour un ancien Tory exclu de son groupe parlementaire pour avoir dénoncé l’islamisation de Londres), a failli à quelques voix près en emporter une dizaine de plus car il est souvent arrivé deuxième dans les circonscriptions, loin devant les Tories. Il est ainsi devenu la principale force d’opposition sur les terres dévolues à la gauche britannique. Comme le dit son leader, « nous avons ouvert un front dans les Tories, on vient maintenant pour les Labour », confirmant sa nouvelle volonté d’engagement sur les deux flancs qu’il présente comme les deux faces d’une même politique.


Les enquêtes ont montré qu’un grand nombre d’électeurs des Tories sont passés à Reform.uk car le programme (le Manifesto) du parti correspond à ce qui est attendu par cette droite britannique : l’arrêt des migrations par la Manche (small boats), la sortie de l’ECHR (la CEDH), une baisse drastique de l’immigration, la lutte contre l’insécurité, moins de taxes, moins de régulation, moins de wokisme, moins de chaos et un respect de l’Histoire et des traditions britanniques, en d’autres termes des préoccupations identitaires. Selon le leit-motiv du présentateur TV Nigel Farage depuis des années : « England is broken ». Il s’agit à présent de le reconnaître et de la reconstruire.

Nigel Farage a longtemps soutenu Marine Le Pen dans une perspective d’union des droites en France depuis la fondation du Rassemblement National. Mais il est à noter qu’il l’a très sévèrement critiquée en juin dernier et a pris ses distances avec la droite nationale française en raison d’un programme économique jugé dispendieux et irréaliste. Car Farage, comme Reform, défendent des idées conservatrices classiques mais une économie libérale.


Le succès de Reform est d’autant plus spectaculaire et significatif que, comme de bien entendu, le parti a été diabolisé pendant la campagne, par ses adversaires mais essentiellement par les médias mainstream, par une partie des députés conservateurs aussi, accusé d’être « far-right » (d’extrême droite), raciste, islamophobe, transphobe etc. Comme il parlait ouvertement d’identité britannique, d’assimilation, de frontière à contrôler, et d’insécurité, on a eu droit au retour de la bête immonde, aux bruits de bottes, à des références à la seconde guerre mondiale, aux nazis et toute la sémantique habituelle à laquelle plus personne ne croit. Et comme partout ailleurs aux fantasmes sur un parti de l’étranger, soutenu par les Russes, parce que Nigel Farage n’a jamais caché une position « trumpiste » sur la guerre en Ukraine, sur les responsabilités partagées, et la recherche d’une troisième voie n’isolant pas totalement la Russie et recentrant ressources et investissement sur le Royaume-Uni (make Britain great again). Le pire est sans doute le terrible mépris de classe incarné par les politiques et les médias, vent debout contre Reform, comme ils le furent contre les brexiters (les partisans du Brexit) se moquant de ses nouveaux électeurs présentés comme racistes, inéduqués, stupides, aveugles ou apeurés, alors qu’il s’agit de classes moyennes et populaires profondément patriotes. C’est d’ailleurs dans ces circonscriptions abandonnées par les Travaillistes et méprisées par les Conservateurs que Reform a fait ses meilleurs résultats.

 

Alors quel avenir pour la droite britannique ?  

Si le grand parti Tories, qui fut pour le Royaume-Uni l’équivalent de ce que furent l’UMP puis les LR, souhaite se reconstruire au cours des cinq ans à venir de l’actuelle législature et déjà reconquérir son cœur de cible, perdu au profit de Reform, il semble évident qu’il doit prendre en compte les volontés de ceux qu’il a abandonnés, écouter leurs doléances, traiter ses électeurs actuels et anciens avec plus de respect, réinstaurer le débat au sein du parti et pas seulement imposer la vision globaliste de ses élites mondialisées et déconnectées du terrain. C’est ce que souhaiteraient des anciens ministres et députés comme Suella Braveman, Kémi Badenoch, Jacob Rees-Mogg dont on évoque, souvent, le possible départ vers Reform si le parti échoue à se reconstruire autour de vraies valeurs de droite.


Hélas, c’est l’inverse qui semble se produire, le parti depuis la défaite étant en train de se purger en excluant tout ceux qui contestent le leadership des centristes. Les élites veulent retourner au centre (ou il y a déjà les LibDem) et, de toute évidence, préserver un électorat communautariste, notamment musulman, en hausse et qui se déplace pour voter : mais cet électorat est déjà soit gagné au Labour, soit s’organise par ses propres moyens et avec ses propres mouvements. Il en est de même pour l’électorat urbain gagné par le wokisme est qui est le cœur de cible de la gauche actuelle. Il est peu probable que cet électorat se téléporte vers la droite. La voie centrale est un mirage dangereux.


Il faudrait aux Tories réinventer totalement le parti, son idéologie, son programme, retrouver une identité de droite, conservatrice, patriote et se défaire de sa soumission/culpabilisation face aux attaques de la gauche. Diabolisé par les médias, Reform est resté droit dans ses bottes, il y a gagné en crédibilité, en voix, en sièges, devenant, dans bien des circonscriptions, la seconde force du pays. Si les Tories ne le font pas, Nigel Farage le fera.

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