La Cour des comptes, les vaches et nous
La polémique de la semaine – la politique française semble maintenant rythmée par des successions de polémiques sans qu’étrangement on tire de ces polémiques la moindre décision – la polémique de la semaine, donc, vient d’un rapport qui préconise de renoncer à nos vaches. Fini l’élevage bovin, trop archaïque, pas compatible avec l’environnement, plus la peine de s’embarrasser.
De qui vient donc ce mystérieux rapport ? De Sandrine Rousseau ? D’un agriculteur bio désespéré ? D’un élu de la République ? D’un expert en agriculture ? Non, il vient d’une institution dite vénérable, la Cour des comptes.
Bon, d’abord, je vais le dire tout de suite, mon propos ne sera pas très objectif, parce que les vaches, je dois l’avouer, j’aime ça : depuis les petites Hérens au tempérament guerrier, en passant par les Tarines aux yeux doux pour finir bien sûr avec les chouchoutes, les Montbéliardes. Je confesse donc ma grande culpabilité devant les magistrats de la Cour des comptes.
Bon, mais voilà, une passion ne fait pas une politique… et pourtant… et pourtant cette saillie de la Cour des comptes mérite qu’on s’y attarde et pas forcément pour les raisons qui ont été relevées.
Revenons d’abord sur ce propos sans appel. La Cour d’appel fait donc la recommandation suivante : « L’élevage bovin est ainsi responsable en France de 11,8% des émissions d’équivalents CO2, comparables à celles des bâtiments résidentiels du pays. Le respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de méthane (souscrits dans l’accord international Global Methane Pledge) appelle nécessairement une réduction importante du cheptel. Cette réduction peut être aisément conciliée avec les besoins en nutrition des Français, un tiers d’entre eux consommant davantage que le plafond de 500g par semaine de viande rouge préconisé par le plan national nutrition santé. » Voilà, en quelques phrases, tout est dit. C’est simple, limpide, circulez il n’y a rien à voir, la Cour des comptes a fait ses calculs et sait mieux que nous. Bon, restons lucides, dans leur grand courage, les magistrats ne sont pas allés quand même jusqu’à donner le résultat de l’équation et dire de combien il fallait réduire. Prudents quand même…
Mais on ne peut pas être totalement surpris. Bruno Le Maire, qui, après son livre, a changé de domaine d’expertise, avait déjà vanté ces derniers jours les mérites de la fausse viande végétale fabriquée en usine et Elisabeth Borne, avec un ton chaleureux, a expliqué que l’agriculture devrait lourdement contribuer à la trajectoire de réduction des émissions de CO2.
Commençons, si vous le voulez bien, par revenir sur ces affirmations.
D’abord, nos magistrats, sans doute pas totalement encore au point sur les secrets de l’agriculture française, ont oublié un grand mystère. Nos vaches vaquent à leurs occupations sur des prairies et, miracle, la prairie est une bonne nouvelle pour l’environnement. Le pâturage en prairies permanentes entretient une biodiversité précieuse et favorise le maintien de paysages de bocages avec plein d’impacts positifs sur les oiseaux, les insectes et autres rongeurs. Qu'adviendra-t-il de nos prairies, lorsqu’on aura docilement suivi la Cour des comptes ? On pourra alors profiter de paysages de friches à l’abandon en méditant sur la sagesse de ces braves gens.
Mais, plus que ça, la prairie grâce à la photosynthèse permet de stocker du carbone. La contribution de l’élevage aux émissions intérieures est réduite à 7%, si l’on prend en compte l’effet positif des prairies… bon, la science agricole de la Cour des comptes n’a quand même pas poussé le raisonnement jusque-là.
Poursuivons si vous le voulez bien. L’agriculture française est en réalité l’agriculture la plus respectueuse au monde de l’environnement et notre élevage l’un des moins émetteurs de carbone au monde, toutes les évaluations convergent sur ce point. Mais, bon, ça, le rapport n’en parle pas. Et pourtant, il serait particulièrement stupide pour l’agriculture française et pour la planète de remplacer des productions agricoles françaises par des importations nettement plus polluantes.
Et pourtant, c’est bien ce que l’on fait, depuis quelques années, puisque l’on diminue notre production et que l’on augmente nos importations. Comme l’a très bien montré le rapport courageux du sénateur Laurent Duplomb nous importons la moitié de notre volaille, 56% de notre viande ovine et 52% de nos steaks hachés chers à nos enfants. C’est d’ailleurs avec cette idée que, dans notre région, nous avons réduit à quasiment zéro toutes les importations dans nos cantines pour donner la priorité à ce que produisent nos agriculteurs.
Mais, une question de bon sens nous taraude. Si on arrête d’élever des vaches, que va-t-il se passer ? Eh bien, pour nourrir les Français, on va importer encore plus et des produits qui respectent dix fois moins la planète que notre élevage… Hum, hum tout ceci est très logique.
Mais dormez tranquilles, les magistrats ont la réponse. Il suffit que les Français consomment moins de viande, c’est tellement évident. De là à ce que la Cour des comptes dans un élan de centralisme administratif propose des coupons de rationnement obligatoires, il n’y a qu’un pas. Il vaut mieux prendre le parti d’en rire tant le résultat de toutes ces idées est désespérément évident : la réduction du cheptel français n’aboutira qu’à une augmentation des importations. Nous détruirons notre souveraineté alimentaire en aggravant les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Et je passe sur la question de savoir ce qui adviendra quand tous les pays, qui ont de bonnes conditions d’élevage, arrêteront de produire… comment nourrira-t-on des pays qui sont déjà dans des situations alimentaires catastrophiques, pour ne pas dire au bord de la famine ? Pas sûr que la Cour des comptes assume jusque-là son raisonnement.
On aurait aimé, pourtant, que le rapport de la Cour des comptes se penche sur d’autres sujets.
Ils auraient pu aussi parler du harcèlement administratif devenu fou sur nos agriculteurs, dire un mot sur les salaires indécents perçus par des agriculteurs qui travaillent souvent 60h par semaine. Ils auraient même pu pousser l’audace jusqu’à se demander comment favoriser notre agriculture par rapport à des concurrents qui ne respectent pas nos normes. Ils auraient même pu aller voir à quoi ressemblent sur le plan environnemental les élevages d’Amérique latine ou d’Océanie d’où nous importons. Ils auraient pu parler aussi des importations, tout domaine confondu, qui sont les principales causes d’émissions de carbone en France – ne jamais oublier que la meilleure chose à faire pour l’environnement dans notre pays est de renforcer notre économie et de diminuer nos importations ! Mais non, la Cour des comptes n’est pas allée jusque-là et en reste à son constat sans appel : les vaches, c’est fini.
On reste songeur, bien sûr, en se rappelant que, normalement, ces experts sont pourtant bien experts en quelque chose et ce quelque chose théoriquement ce sont nos déficits budgétaires, l’argent public et comment éviter de le gaspiller. Et on ne peut s’empêcher de se dire qu’il est quand même admirable d’avoir à la fois une dette qui approche les 3 000 milliards d’euros et représente un budget plus important que l’Education nationale et, en même temps, des magistrats de la Cour des comptes qui eux préfèrent parler des vaches.
Mais, encore un peu de patience, j’en viens à la fin de mon raisonnement. Le plus admirable, ou le plus dangereux, c’est selon, n’est à mon avis pas là. Que nous ayons en France des rapports qui sortent sur les sujets les plus fantasques, c’est malheureusement une passion administrative, que ces rapports soient bien éloignés des vraies priorités, ce n’est pas totalement un scoop, qu’ils débouchent sur pas grand-chose, ce n’est pas une surprise.
Mais à mes yeux l’essentiel n’est pas là. Laissons de côté tous les avis et les débats que l’on peut avoir en fonction de nos convictions sur ce sujet ; la vraie question est que vient faire la Cour des comptes dans tout cela ? Quand elle dit qu’il faut renoncer au cheptel bovin, elle exprime un jugement politique. À la limite, c’est un débat politique que l’on peut avoir mais ce qui est sûr c’est que ce n’est pas son travail. Le travail théorique de la Cour des comptes est administratif. Son travail, et ce n’est pas rien, est notamment de s’assurer de la régularité des recettes et des dépenses inscrites dans les comptabilités publiques et de s’assurer du bon emploi des crédits. Mais, par une dérive inquiétante, elle en vient de plus en plus à devenir un organisme politique qui émet des opinions politiques. C’est très malsain dans une démocratie parce que, à l’arrivée, l’administration finit par ne plus faire son travail, s’immiscer dans le champ politique et le politique lui finit par baisser la tête par lâcheté et laisser d’autres décider des choix pour le pays. C’est ce travers qui fait qu’aujourd'hui la France ressemble parfois à un bateau ivre où en réalité on a perdu le contrôle des choses et où on laisse des organismes dits indépendants et en réalité sans légitimité démocratique décider à la place de la démocratie. Rien n’est à mon sens plus dangereux.
C’est ce qu’il faut corriger. Les politiques doivent assumer leur mission et retrouver le sens du courage. Et l’administration doit retrouver son rôle, qui a aussi sa noblesse, mettre en œuvre, assurer l’exécution – et il y a fort à faire – et surtout, surtout, se garder de faire de la politique parce que ce n’est pas sa place.
Et longue vie à nos vaches et à ceux qui les aiment.